Chronique

Trio Séguron/Delaunay/Seru

La double vie de Pétrichor

Catherine Delaunay (cl, bcl, acc, cor de basset, scie), Guillaume Séguron (b), Davu Seru (dms)

Label / Distribution : Nato

C’est un joli nom, Pétrichor. C’est celui choisi par un trio où l’on retrouve le contrebassiste Guillaume Séguron et la clarinettiste Catherine Delaunay pour incarner un personnage fantasque, héros d’un album célébrant l’anniversaire du label nato. Tous les éléments sont d’ailleurs réunis pour faire du Trio SDS un pensionnaire attitré de cette maison trentenaire. En premier lieu, l’univers de bande dessinée confié au graphiste Matthias Lehmann, qui illustre les tribulations de ce curieux quidam, entre clochard céleste et esprit frappeur. La présence ensuite de Davu Seru, natif des Twin Cities où coule le Mississippi cher à Jean Rochard, lequel est à l’origine de cette rencontre. On a pu croiser ce batteur dans de nombreux registres, aux côtés de Didier Petit ou de l’électronicien Rafael Toral par exemple. Dans un morceau comme « Which Blues », il semble, en soufflant sur les braises éruptives du remarquable solo de Séguron, ranimer les anciens et les nouveaux rêves… La double vie de Pétrichor, conté par un mystérieux Professeur Scott LaViolette qui parle à grands renforts de pizzicati, nous l’affirme : toute cette histoire tient dans une simple fiole étiquetée « Un air d’hier maintenant. »

C’est un joli nom, Pétrichor. Ça correspond bien à cet homme qui, lors de sa douche annuelle, découvre que par le prisme d’une seule goutte d’eau, il peut embrasser le monde. Il passe ainsi en un instant de l’impétuosité de « Sous les ponts d’Adélie », où Delaunay s’échauffe sur une base rythmique fusionnelle, à la chaleur conquérante d’« A la Huelga » où elle se saisit de son accordéon et de sa scie musicale pour chavirer d’émotion. On peut compter sur Séguron (Nouvelles réponses des Archives) et Delaunay (Jusqu’au dernier souffle), leur sens de la narration et leur goût pour les clins d’œil et les signes, pour donner de la fluidité au voyage. À mesure que les perles d’eau se succèdent sous les pieds de Pétrichor, le trio nous conduit au cœur de leurs atomes grâce à un fameux accélérateur de particules qui va du Mississippi au Danube (« Such a Little Princess ») en traversant la Bretagne et la cité nîmoise.

C’est un nom terrible, Pétrichor. Il désigne l’odeur qui émane de la terre après la pluie. C’est un parfum d’enfance, un bouquet de rêve et de temps qui passe. Dans ce Pétrichor, on trouve les vapeurs entêtantes du « Four Women » de Nina Simone, où tambours et cordes tiennent la rythmique dégingandée qui fit sa légende, pendant que la clarinette basse de Catherine Delaunay chuchote le thème et le porte jusqu’au cri. On y déniche (l’explosif « Kronenche », de Beb Guerin), une escapade dans le Paris free des années 60. On y décèle surtout une entente étonnante entre des musiciens qui se sont pourtant rencontrés quelques jours avant l’enregistrement. Celle qui unit la clarinettiste et le contrebassiste, et qu’on a notamment pu percevoir sur le sépulcral Sois patient car le loup, est l’axe majeur de ce disque émouvant, plus que jamais indispensable. Sans la moindre parole, le trio parvient à livrer une fable - une fable amoureuse de la Terre et de ceux qui la peuplent, et où se marient cerise et grenade. Même si ce n’est pas le mois de mai.