Portrait

nato a 40 ans, le bel âge !

La maison nato, quarante ans en quatre souvenirs


On pourrait, pour les quarante ans de nato, sans majuscules car seules les organisations guerrières en ont, faire une énième histoire de la maison du petit chat. Mais cette légende qu’on conte comme les aventures d’un héros de nos musiques au coin du feu, on l’a déjà fait ici pas plus tard qu’il y a 10 ans et même là avec l’interview de Jean Rochard, esprit frappeur s’il en est.

Il serait aisé de raconter la genèse, à Chantenay-Villedieu, les contingents d’Anglais et l’amour de la BD. Il serait confortable de se souvenir de Lol Coxhill et des douze sons de Dame Léandre. Mais plutôt que de prendre une autoroute bien linéaire, et puisqu’il paraît qu’à quarante ans on tire les bilans, voici quelques souvenirs de ce label qui nous accompagne depuis toujours (si on a la quarantaine, évidemment).

On se souvient de Tenga Niña, qui avait percé comme un soleil en 1996, et que nato a réédité, il y a quelques années, à l’occasion d’un hommage toujours nécessaire à Jacques Thollot. Les souvenirs sont présent, follement, parce qu’il n’est pas longtemps avant que ce disque revienne sur la platine. Ce n’est pas seulement pour la légèreté de l’écriture du batteur, ou pour la basse si élégante de Claude Tchamitchian ; c’est pour la chaleur et la lumière qui en découle, pour la trompette de Henry Lowther qui attire comme un aimant sur le morceau-titre, et pour son pendant sombre, la guitare de Noël Akchoté. Une simplicité pleine d’humanité, absolument impérissable. « Raison de plus pour chérir (...) ce disque traversé par l’idée de transmission, nommé d’après l’apostrophe d’une fillette à la sienne, Marie, il y a trente ans, du côté de Montagnac ; un disque marqué par la reprise de la correspondance - par morceaux interposés - avec l’âme sœur Don Cherry, ici par l’intermédiaire de sa fille Neneh (« To Neneh by Don from Jacques »). » écrivions-nous. Réitérons.

On se souvient de Buenaventura Durruti, qui sur le catalogue, fait suite au disque de Thollot. Mais c’est fortuit. On s’en souvient surtout parce qu’il parlait de politique et que c’était rare, les disques comme ceux-là, au mitan des années 90. Un disque de souvenir et de lutte, avec Tony Hymas et Tony Coe, les deux Tony de chez nato qui donnaient plus de verve aux mots de l’historien Abel Paz. Tony Hymas poursuivra dans cette veine plusieurs années plus tard avec Chronique Résistance avec la chanteuse Elsa Birgé. Elle était de l’aventure, déjà, sur Durruti, et du haut de ses 10 ans assénait que « Nous n’avions pas le moins du monde peur des ruines ». C’est l’identité et la force de nato que de proposer des projets collectifs qui font appel à l’Histoire, aux figures, sans les clairons rancis de l’hommage institutionnel, mais avec la mémoire collective de « Los Nosotros », ce morceau emblématique joué par Steve Argüelles et Marc Ducret.

On se souvient de L’Extraordinaire Jardin de Charles Trénet de Steve Beresford, parce que bon, a priori, Trénet... Mais Beresford est un magicien et il arrive à donner une vraie folie à ces chansons, un côté burlesque et joyeux dans lequel le trombone d’Yves Robert est un chahuteur radieux. On se souvient de Tonie Marshall, camarade de toujours de nato, qui chante sur « Le Serpent Python » avec une grande douceur son amour du cinéma. Autour d’elle, Robert est un animal sauvage et Louis Sclavis à la clarinette basse joue à cache-cache avec la batterie de Han Bennink. Plus loin, Beñat Achiary chante « J’ai ta main » avec la trompette de Jean Mereu pour lui donner la réplique. Avec une distribution ahurissante, ce disque parvient à remettre Trénet à sa place, celle d’un chanteur français dont les chansons fantasques permettent toutes les folies, ce qui en 1988, en plein « retour » du fou chantant, était bien nécessaire. Il n’en fallait pas davantage à un ingénieux arrangeur comme le pianiste Steve Beresford pour faire des miracles.

On se souvient de Tout Va Monter, puisqu’il faut aussi se souvenir de ce qui est proche de nous. Depuis toujours, la maison nato s’est intéressé aux musiques populaires, et le funk comme le hip-hop en sont nécessairement. Dans la période récente, on citera Ill Chemistry et Ursus Minor, mais sans doute rien ne fut aussi marquant que cette rencontre a priori improbable entre Carnage The Executioner et Joëlle Léandre, avec Benoît Delbecq à l’arbitrage. Mais qu’est-ce qui est improbable de nos jours ? Qu’on puisse se faire des millions avec le prolongement vocodé d’une sonnerie de téléphone ou que des artistes se mesurent à d’autres dans une joyeuse entropie créative ? Carnage est un des meilleurs rappeurs de sa génération, et nous n’aurons jamais assez d’épithètes pour Delbecq et Léandre... Alors que dire ? Que c’est l’une des plus belles expériences de musique totale de ces dernières années ? « Tout va monter. Le son, la sève, la tension. Le fruit est mûr et juteux, il n’y a plus qu’à croquer dedans. » écrivions-nous déjà. Là aussi, réitérons.

Et comme les meilleurs souvenirs sont ceux qu’on espère, attendons avec un impatience contenue les projets qui se montent. Dans la dernière newsletter de la maison, mais aussi dans l’interview récente de Catherine Delaunay, on nous annonce Cantilènes pour Boris Vian à l’occasion des 100 ans de l’auteur-chanteur-inventeur et Saint Patron pataphysique de tous les chroniqueurs de jazz. On ne saurait s’en passer et l’on pourra s’en souvenir pour les cinquante ans du petit chat. Une question est posée aussi dans cette newsletter, pour savoir quel album de nato nous souhaiterions voir rééditer. On me permettra un message personnel : on réécouterait bien Six Séquences pour Alfred Hitchcock, cher chaton. Que de souvenirs !