Chronique

Jim Black Trio

Reckon

Jim Black (b), Elias Stemeseder (p), Thomas Morgan (b)

Label / Distribution : Intakt Records

« Reckon » fait partie de ces mots dont les traductions sont nombreuses selon le contexte. Compter, estimer, supposer, calculer, croire, imaginer, même. Autant dire que hors contexte, posé là sur la pochette, on ne sait pas encore à quoi ce Reckon-ci fait référence.
Jim Black est l’homme de plusieurs vies. Le batteur américain, le prodige de AlasNoAxis, électrique et percutant, est maintenant un membre actif de la communauté jazz de Berlin. On le trouve dans plusieurs projets, il promène son air goguenard et débonnaire dans les lieux de diffusion, il est sollicité. Pourtant, loin de s’éparpiller, il consolide.

Avec ce trio, c’est le deuxième album chez Intakt. Lui qui ne voulait surtout pas jouer en formule piano-basse-batterie a trouvé avec Stemeseder et Morgan la formule idéale. Le pianiste autrichien et berlinois, compagnon régulier du saxophoniste Philipp Gropper, partage les projets de Black depuis plus de dix ans maintenant et on sent dans ce deuxième répertoire toute l’énergie commune qu’ils peuvent développer. Ce n’est pas Thomas Morgan, l’une des plus fines lames américaines en terme d’accompagnement idoine qui va peser sur l’équilibre.

Quasiment improvisé de bout en bout, le disque enchaîne avec humour les titres décalés. En studio, c’est simple, on s’installe, on appuie sur l’interrupteur et c’est un flot ininterrompu de musique qui jaillit, comme un barrage qui régule le trop-plein, déversant un jet puissant dans la rivière en contrebas. On y croit, on compte dessus. Let’s reckon.
Jim Black a toujours cette élégante manière d’accentuer sèchement les temps de relance, laissant filer le piano sous une pluie de cymbales. Elias Stemeseder a ce toucher délicat et très clair avec une inventivité très retenue, toujours à préférer un silence à une note mal taillée. Son rapport basse-aigu est très large, il n’hésite pas à couvrir le plus de clavier possible, non pas en force mais en hauteur de vue. C’est d’ailleurs aussi le cas de Thomas Morgan qui s’échine en économie de jeu, comme pour rendre ses interventions inattendues.

On passe de morceaux énergiques et très rythmiques à des balades tournoyantes et les corps dansants, qu’ils soient mécaniques ou biologiques, restent reliés à la pulsation hypnotique du batteur qui attrape l’auditeur comme on pêche le poisson à la cuillère.