Scènes

L’Arbre Rouge dans la forêt

L’Arbre Rouge d’Hugues Mayot et Dans la forêt de Joce Mienniel, sont deux nouveaux projets présentés cet été.


Photo : Christian Taillemite

Après plusieurs années d’un jazz tonitruant, qui cultivait un gros son et des ambiances électriques, on assiste depuis quelque temps à une certaine accalmie. De plus en plus de projets cultivent une forme de douceur et s’attachent à développer des nuances sonores que seule permet une formation acoustique.

C’est le cas de celui d’Hugues Mayot, « l’Arbre Rouge ».
Alors que le saxophoniste nous avait habitués à des bouillons furieux (au sein du collectif Coax ou aux côtés de Philippe Gleize), il présente avec ce nouveau groupe une musique aux antipodes de cette tendance — preuve, s’il en fallait encore une, que les musiciens aujourd’hui ne se reconnaissent plus dans les styles et sont capables de (presque) tout jouer.

Hugues Mayot

« Arbre Rouge » a donné son deuxième concert en clôture de la saison Jazz Fabric au Carreau du Temple à Paris. En résidence dans cette salle, l’Orchestre National de Jazz y programme les créations de ses membres. On a pu y entendre « Palimpseste », le voyage à Detroit de Sylvain Daniel, « Petite Moutarde » de Théo Ceccaldi, « Post K » de Jean Dousteyssier ou « Chut ! » de Fabrice Martinez.
Hugues Mayot y avait déjà présenté « What if » avec Joachim Florent, Jozef Dumoulin et Frank Vaillant, une proposition très intéressante mais nettement moins radicale qu’Arbre Rouge. Dans ce petit orchestre de chambre, Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Joachim Florent (contrebasse), Sophie Bernado (basson) et Hugues Mayot (sax et clarinette) interprètent les compositions de ce dernier, entre improvisation et musique contemporaine (dans tous les sens du terme). Si les mélodies répétitives ont quelque chose du minimalisme d’un Steve Reich, le mariage entre les cordes et les vents donne un son presque baroque.
Arbre Rouge fait le lien entre l’ancien — les racines— et le contemporain — le ciel. Chaque instrument, sur sa branche, à la place et le loisir d’explorer tout les possibilités de son propre son. Malheureusement parfois surpassé en volume par le saxophone, le basson de Sophie Bernado est particulièrement mis en valeur. Sa majestueuse gravité, accentuée par la présence de la contrebasse, semble venir d’une autre terre, archaïque et intérieure. Il n’y a rien de cérébral dans ce mélange boisé, plutôt des impressions, des apparitions, des sensations. C’est presque dans un état second que le public du Carreau est sorti ce jour-là : des couleurs très chaudes et de longs développements harmoniques nous ont transporté dans une autre temporalité.

Dans un autre style, cette esthétique rappelle celle du flûtiste Jocelyn Mienniel, qui a présenté sa dernière création « Dans la forêt » au mois de juin à la Dynamo de Pantin.
Seul en scène, il jouait derrière un cyclo où étaient projetées en direct les images du vidéaste Romain Al’l : des paysages naturels et urbains et des collégiens avec qui Mienniel a travaillé tout l’année, lesquels, depuis la salle, se reconnaissaient avec fierté.
Le montage cachait et soulignait à la fois la présence du musicien et de ses nombreux instruments, jouant avec la vidéo. On reconnaît dans ce premier solo, clôture de résidence à Banlieues Bleues, l’attention portée aux timbres (voir Joce Mienniel, poète des timbres déjà audible dans Paris Short Stories et Art Sonic. Le son est ici bouclé et transformé, pour créer des ambiances polyrythmiques à plusieurs niveaux. Les instruments évoquent parfois des drones, mais des drones poètes et non meurtriers, en emplissant l’espace sans qu’on sache toujours où ils commencent et où ils s’arrêtent. Même si des mélodies apparaissent, Mienniel crée une atmosphère diffuse et planante, d’une grande qualité cinématographique. Plus qu’un solo, il s’agit bien d’un duo avec Romain Al’l ; son et image respirent de pair.

Bien d’autres musiques s’inscrivent dans le même geste esthétique que celles d’Hugues Mayot et Joce Mienniel — le duo Madeleine et Salomon, par exemple, ou certaines productions du Tricollectif — et toutes apportent un contrepoint bienfaisant à notre époque.