Chronique

Clément Janinet

Ornette Under The Repetitive Skies III

Clément Janinet (vl, mand, perc), Hugues Mayot (ts, p, perc), Joachim Florent (b, perc), Emmanuel Scarpa (dms, perc, vib) + Arnaud Laprêt (perc), Zé Jam Afane (voc).

Label / Distribution : BMC Records

On n’ira pas jusqu’à dire que les OURS se suivent et se ressemblent. Pourtant, avec ce troisième rendez-vous, après un premier album en 2018, puis une Danse l’année suivante – sans oublier par ailleurs une Litanie des cimes en trio aux couleurs chambristes – Clément Janinet semble bien décidé à nous habituer au meilleur, ce que personne ne saurait lui reprocher. Il n’est pas inutile de rappeler le concept qui sous-tend la musique de cette formation emmenée par celui qu’on avait pu connaître en d’autres temps au sein de Radiation 10 : « Le nom du groupe (et du disque), Ornette Under The Repetitive Skies, laisse transparaître les principales influences qui ressortent de la musique que j’ai envie de jouer, qui sont le jazz des années 60, le free jazz, Ornette Coleman représentant tout ce courant musical. D’un autre côté, The Repetitive Skies c’est toute la musique minimaliste américaine (Steve Reich, John Adams). L’idée était de se poser à la rencontre de ces deux mondes » [1]. À quoi on ajoutera les circonstances particulières du confinement de 2020 qui ont incité le violoniste (également mandoliniste, ce qui n’est pas si courant après tout) à se replonger dans différents enregistrements clés des années 60 et du début des années 70 : les derniers disques de John Coltrane, tous ceux de Pharoah Sanders, mais aussi d’Alice Coltrane et son A Journey In Satchidananda. On pourra aussi souligner le cadre de l’enregistrement, le BMC Studio de Budapest, un vaste lieu propice à restituer un climat proche de celui que souhaitait Clément Janinet, à la façon des enregistrements de l’époque sur les labels Vogue ou Columbia.

Sans doute ces repères comptent-ils pour beaucoup dans le sentiment d’une réelle spiritualité qui habite chacune des compositions du disque. C’est vrai en particulier pour les deux longs thèmes du disque (plus de 13 minutes chacun) et leurs scénarios savamment agencés à la manière de traversées dont on ressort comme ébloui. Le motif répétitif de « 3rd Meditation » vous emporte dans une lente immersion aux couleurs méditatives, avant que le saxophone ténor d’Hugues Mayot (magistral du début à la fin) ne lance un appel free déchirant pour mieux mêler ensuite sa voix à celle du violon. Tout aussi puissante est la vibration de « Purple Blues » dont les quatre premières minutes ont les allures d’une cérémonie mystique (clin d’œil à Alice Coltrane) qui ouvrira en grand les portes d’un blues profond. Soit un nouveau terrain de jeu pour le saxophoniste et le déferlement de la batterie d’Emmanuel Scarpa dont on connaît la force de l’imagination. Toujours présent, en arrière-plan ou croisant sa voix à celle de ses partenaires, Clément Janinet est rarement soliste. On peut lui savoir gré de laisser toute la place nécessaire à ses partenaires dans l’élaboration du jeu d’un ensemble au sein duquel la contrebasse de Joachim Florent prend une part mélodique importante (notamment à l’archet), s’accordant quelques interventions décisives (son solo sur « Ouagadougou », par exemple). OURS sait aussi se poser, prendre le temps de s’exprimer en mélodies douces et contemplatives, poussant même ses explorations jusqu’à l’Afrique. Comme celle entreprise aux côtés du Camerounais Zé Jam Afane, compositeur et chanteur de « Odibi » en (poignante) conclusion du disque.

N’y allons pas par quatre chemins : si ses influences très datées sont explicites, Ornette Under The Repetitive Skies III n’est jamais un disque passéiste. Il se présente d’ores et déjà comme l’un des albums les plus excitants de l’année, de ceux dont on ne semble pas devoir épuiser en deux ou trois écoutes les richesses et les raffinements. S’il est aujourd’hui de bon ton parfois de s’étourdir dans certaines formes « dance floor » du jazz contemporain – il en faut bien pour tous les goûts – on n’en oubliera pas pour autant d’en appeler à l’exigence d’un autre type de transe. Un peu plus cérébrale certes, avec un peu moins de transpiration, mais possible support d’une prise de conscience qui ne sera jamais superflue en nos temps incertains.

par Denis Desassis // Publié le 30 octobre 2022

[1Extrait d’un entretien que Clément Janinet nous a accordé par téléphone le 12 septembre.