Scènes

La bamboche, c’est reparti ?

Retour sur scène et en public, les Troubadours de Sylvain Rifflet sont à Pantin.


Ce mercredi 19 mai marquait le début d’une nouvelle ère pour le monde du spectacle et de la culture. Avec le déconfinement et l’extension du couvre-feu à 21 h, les salles de spectacles étaient autorisées à reprogrammer des artistes en manque de scène et de public depuis de trop longs mois. A la Dynamo de Pantin, c’est le saxophoniste Sylvain Rifflet et son projet Troubadours qui ouvrait le bal.

19 mai 2021 : 18h30, les portes de la Dynamo s’ouvrent.

Nous entrons dans la nef, observant alentour. Un écran diffuse le concert du groupe Limousine, enregistré lors de l’édition 2021 (en ligne) du festival Banlieues Bleues. On écoute, distrait. On se regarde entre privilégiés, on se toise ; tout ça semble un peu irréel. Se retrouver ici, dans une salle de concert avec des gens - masqués certes, mais avec des gens - pour assister à un concert de jazz semble être devenu une expérience extraordinaire au sens littéral du terme. Nous récupérons nos précieux sésames (le concert était gratuit sur réservation avec une jauge très limitée), puis pénétrons dans la salle. On s’installe, laissant deux places vides d’un côté, deux places vides de l’autre.

19h, les musiciens entrent sur scène, presque à tâtons. Applaudissements nourris. Et puis le silence. Celui qui précède le grand saut. Sylvain Rifflet dira, quelques morceaux plus tard : « D’habitude j’ai pas trop le trac, mais là j’ai le trac ».

Sylvain Rifflet « Troubadours » © Isabelle Lecomte

D’un côté de la scène, entouré de ses percussions, trône Benjamin Flament, fidèle complice du saxophoniste. De l’autre, Sandrine Marchetti tient l’harmonium. Au centre, Rifflet et le trompettiste Yoann Loustalot se regardent. Ce soir ils jouent le répertoire de l’album Troubadours, sorti en 2019, répertoire inspiré de la musique médiévale. Le concert débute, comme dans l’album d’ailleurs, par deux morceaux très rythmés, « Sordello (da Goito) » et « Eble (de Ventadour) ». Rifflet et Loustalot soufflent les thèmes avec passion, soutenus par la belle osmose entre les percussions et l’harmonium. On est instantanément sous le charme.

Unissons de toute beauté, contrepoints d’une grande justesse, soli habités, les deux soufflants sont au rendez-vous. Le saxophoniste, très en verve, affûté, visiblement très heureux d’être là, multiplie les interventions, le plus souvent au saxophone mais également à la clarinette sur quelques morceaux dont le magnifique « Na (de Casteldoza) ». Toujours très beau à voir jouer, il balance, chancelle et se déhanche tel un derviche au gré de ses prises de becs. Yoann Loustalot, un brin tendu, jetant çà et là des regards furtifs à son leader, s’acquitte de sa partition avec beaucoup d’émotion et de fraîcheur. Tout le long du concert, on est happé par le son de sa trompette, droit, pur, d’un lyrisme fou.

Sylvain Rifflet © Isabelle Lecomte

Quant à leurs deux acolytes, loin d’être en retrait, ils patinent l’ensemble d’un charme indéfinissable. Benjamin Flament, percussionniste de l’extrême, utilise son riche instrumentarium pour varier les timbres et les textures à sa guise, donnant une couleur unique à chaque morceau. L’harmonium (drôle d’instrument à soufflet dont le son se situe entre l’accordéon et l’orgue) de Sandrine Marchetti apporte une impeccable assise rythmique et harmonique, jouant tantôt la mélodie à l’unisson des deux soufflants, tantôt faisant office de basse, tantôt encore diffusant un bourdon sur lequel Rifflet et Loustalot posent leurs tendres arabesques. Après avoir presque passé en revue l’ensemble du répertoire du disque, le concert touche déjà à sa fin. Le temps semble nous avoir filé entre les doigts. Les musiciens s’avancent, tout sourire, pour saluer. Le public est aux anges, en redemande.

Le rappel sera solitaire. Assis, jambes croisées, Rifflet entame une mélodie lancinante faite de tourneries répétées. Souffle continu. Rythme effréné. Les doigts du saxophoniste virevoltent et dessinent un grand huit. Montées et descentes de clés. Ses pieds martèlent la pulsation. On se prend à l’imiter (et avec nous, la salle entière). On est en transe. Quelques mesures plus tard, il s’arrête à bout de souffle, esquisse un au revoir et puis s’en va.

Voilà c’est fini. Ce fut bref mais intense. On quitte la Dynamo un peu hébété. Il est 20h15 ! Une nouvelle vie commence. On avait hâte.