Scènes

Les comètes du jazz migrent au Nord

Acteurs du jazz français, nordique et scandinave se retrouvaient à Paris lors des premières rencontres AJC - Nordic Jazz Comets.


Erlend Apneseth - Christophe Charpenel

Acteurs du jazz français, nordique et scandinave se retrouvaient à Paris lors des premières rencontres AJC - Nordic Jazz Comets. L’occasion de connecter le dispositif Nordic Jazz Comets à son jumeau français Jazz Migration, avec l’ambition commune de penser une Europe de l’art et de l’échange.
Compte rendu des concerts présentés au Pan Piper le 2 décembre et à la Dynamo de Banlieues Bleues le 3 décembre 2019.

Le dispositif Nordic Jazz Comets, porté par le Nordic Jazz Network (Iceland Music, Jazz Danmark, Jazz Finland, Norsk Jazzforum, Svensk Jazz), existe depuis 2000. Le programme organisait sa première soirée le 2 décembre 2019 au Pan Piper à Paris.

Précaution (très) importante : l’objet n’était pas de nous présenter les Émile Parisien et Thomas de Pourquery du jazz nordique et scandinave, mais les jeunes pousses, les nouvelles voix d’une scène en expansion en jazz et musiques improvisées, ce qui explique que certains groupes aient pu nous paraître (très) jeunes.

Røgsignal, un quartet de jeunes Danois mené par le guitariste Nikolaj Bugge, nous séduit par les horizons de paysages froids qu’ils ouvrent à l’auditeur. Sur des tempos majoritairement détendus, l’espace de résonance laissé entre chaque note du guitariste procure un apaisement mélancolique.

En comparaison, Kaisa’s Machine, quartet de Finlande mené par la contrebassiste Kaisa Mäensivu, nous paraît bien fade dans son esthétique classique.

Le duo islandais du saxophoniste Tumi Arnason et du batteur Magnús Trygvason Eliassen s’avère, lui, plutôt captivant. Il nous plonge dans un set d’improvisation libre et soudain nous ouvre, à deux reprises, des plages d’une douceur inouïe. La première fois c’est une délicatesse de saxophone associée au jeu à mains nues du batteur sur ses fûts. A la deuxième, le batteur nous enveloppe dans la ouate avec son jeu aux mailloches tandis que le saxophoniste, en expansion par ses pédales d’effets, prend une résonance comparable à celle d’une église.

Erlend Apneseth © Fabrice Journo

Le choc de la soirée tient au trio norvégien du violoniste Erlend Apneseth. Au violon Hardanger, Erlend Apneseth, à la batterie Øyvind Hegg-Lunde, à la guitare acoustique et aux samples, Stephan Meidell. Tous trois sont assis ; Erlend joue en inclinant complètement sa joue gauche sur sa mentonnière sans jamais regarder le manche de son violon. Le concert est somptueux. On est dans une folk hypnotique, lancinante, envoûtante, cathartique. Une pulsation matricielle, un bercement, une douce utopie. Les archets du violoniste et du guitariste comme l’ornement délicat aux percussions, s’avèrent guérisseurs. Avoir vécu ce moment de pure beauté nous incite à relire avec d’autant plus de plaisir le compte-rendu de la soirée Hubro et à écouter leur dernier album paru sur le label Hubro en juin dernier, intitulé Salika, Molika, dont on a fait l’expérience ce soir. Si l’on mentionnait en préambule la jeunesse des groupes, Erlend Apneseth, lui, est véritablement l’Émile Parisien du violon norvégien.

Le contraste en termes de maturité avec le sextet suédois Fartyg 6 de la chanteuse Matilda Andersson joue en défaveur de ce dernier groupe. L’ennui l’emporte à l’écoute de motifs inutilement compliqués.

Le lendemain à la Dynamo de Banlieues Bleues, les Rencontres AJC nous permettaient en avant-première les quatre nouveaux groupes lauréats de Jazz Migration, le dispositif d’accompagnement de jeunes musiciens de jazz porté depuis 2002 par l’AJC.

Parrainé par le 106 de Rouen mais présenté ce soir par Jacques-Henri Béchieau, le trio You réunit la chanteuse Isabel Sörling, le guitariste Guillaume Magne et la batteuse Héloïse Divilly. Il y a de l’inventivité dans leurs rythmiques et mélodies d’un groove « du monde ». Au pic du showcase, c’est quasiment une rythmique tribale que le trio nous donne à expérimenter. Mais pourquoi encadrer ces compositions par deux pièces reposant sur les vocalises tourmentées d’une chanteuse à la posture souffreteuse ?

Présenté par Les Rendez-Vous de l’Erdre, le duo NoSax NoClar - Julien Stella aux clarinettes et Bastien Weeger aux saxophone et clarinettes - est clairement notre groupe préféré de la soirée, celui que l’on aura envie de suivre dans son développement. Envoûtant du début à la fin, soudé par l’idée des voyages, le duo enchaîne une pièce à influence berbère, une reprise d’un chant bulgare transposé pour clarinettes, des évocations klezmer. La vidéo de la pièce intitulée « Kahmsïn », filmée il y a deux ans dans l’église Notre-Dame du Port à Nantes, offre un aperçu de leur proposition.

Présenté par Jazz à Luz, Kepler est un trio formé de Julien Pontvianne au saxophone ténor et clarinette, Adrien Sanchez au saxophone ténor, Maxime Sanchez au piano et clavier. Leur idée est de rendre le son nécessaire, en travaillant sur l’extrême lenteur, la retenue du souffle et du toucher. Ce projet poétique sera idéal pour les concepts de siestes musicales que l’on a testés dans certains festivals.

Nefertiti, quartet paritaire créé en 2013, réunit la pianiste Delphine Deau, la saxophoniste Camille Maussion, Pedro Ferreira à la contrebasse et Pierre Demange à la batterie. C’est Alex Dutilh qui présente la formation qu’il avait déjà accompagnée en juillet dernier à l’Euro Radio Jazz Competition 2019. Le groupe, déjà auteur de Danses Futuristes sorti en 2015 et de Morse Code en 2018, en était sorti lauréat. Dans une esthétique plus classique, on retient le caractère évolutif de leurs pièces aux longs développements.

Aux diffuseurs et aux programmateurs des festivals du réseau AJC de trouver, lors de cette soirée, des idées pour programmer de jeunes talents.