Scènes

Laurent Bardainne : y a de l’amour dans l’air !

Échos masqués de Nancy Jazz Pulsations # 3 – Lundi 12 octobre 2020, Théâtre de la Manufacture : Laurent Bardainne « Love Is Everywhere ».


Laurent Bardainne & Tigre d’Eau Douce © Jacky Joannès

Dans le sillage de son premier album, le Tigre d’Eau Douce de Laurent Bardainne est venu feuler sa musique multicolore.

Le musicien est « supersonique » par sa seule présence aux côtés de Thomas de Pourquery. Je me rappelle un concert incendiaire il y a trois ans presque jour pour jour au Chapiteau de la Pépinière… On sait aussi qu’il fut le co-fondateur d’une Limousine très cinématographique aux accents rock. Ceci pour ne citer que quelques-unes de ses aventures musicales. Car voici que le saxophoniste Laurent Bardainne, qui a mis sur pieds une nouvelle formation baptisée Tigre d’Eau Douce, répand désormais la bonne parole de l’amour dans le sillage du Facteur Cheval. Et qui, en cela, assume l’héritage du message de John Coltrane selon lequel la musique pouvait être bénéfique pour les gens. Les effets, peut-être, de la quarantaine et d’une paternité qui vous ramène à l’essentiel…

Laurent Bardainne © Jacky Joannès

Le Théâtre de la Manufacture affiche complet (selon les critères de distance en vigueur) et nous devrons en sortir sans nous bousculer, comme le préconise l’annonce faite au micro avant que tout commence. Dans ces conditions paradoxales, le concert – 90 minutes d’une seule traite, c’est la règle en ces temps de Covid 19 – n’accorde aucun temps mort, à l’exception de quelques secondes prises pour une courte réparation de l’orgue Hammond. La position centrale de ce dernier, aux commandes duquel règne le complice de toujours ou presque Arnaud Roulin, impose ses sonorités soul et célèbre d’emblée une black music fiévreuse, très mélodique, au cœur de laquelle on discerne l’influence tout autant de Jimmy Smith que de Pharoah Sanders ou Gato Barbieri, sans oublier la présence subliminale des voix majeures que furent Marvin Gaye (à qui est dédiée une composition intitulée… « Marvin ») ou Bill Withers. La rythmique est surpuissante, guidée par la basse électrique de Sylvain Daniel (membre de l’ONJ) et la polyphonie fracassante de Philippe Gleizes dont la batterie survoltée et extatique (on n’oublie pas que le monsieur a beaucoup côtoyé Christian Vander) écrase parfois les percussions plus délicates de Roger Raspail, bousculant à certains moments l’équilibre subtil qu’offrait l’album Love Is Everywhere. Ce soir, il y a du déferlement dans l’air et les joutes sont spectaculaires : ainsi un dialogue saxophone batterie d’inspiration très coltranienne, façon Interstellar Space, qui renvoie au duo Bardainne-Gleizes au début des années 2000. Laurent Bardainne allie puissance et lyrisme. Sa musique est un chant inspiré selon ses propres dires par le besoin de ne « plus faire de musique torturée comme auparavant. Pour vraiment prendre du plaisir, balancer de bonnes vibrations grâce à la musique ». Le pari est réussi, le public conquis. Il est assez incroyable de constater chaque soir à quel point les mois qui viennent de s’écouler ont aiguisé aussi un appétit de « communion » - qu’on me pardonne ce terme – et d’exposition au plaisir direct de l’interaction avec les musiciens, malgré ces vilains masques qui effacent les sourires.

L’amour est partout, avec en guise de cerise sur le gâteau une ultime surprise au moment du rappel. Occasion pour le Tigre d’Eau Douce d’un hommage au chanteur Christophe, récemment disparu. Je dois bien avouer que je n’aurais sans doute jamais imaginé que ce concert prendrait fin avec une version habitée de cette « Aline », slow langoureux qui avait rapproché bien des corps au milieu des années 60…