Chronique

Thomas de Pourquery - Supersonic

Play Sun Ra

Arnaud Roulin (claviers, p, voc), Edward Perraud (dm, perc, electronics, voc), Frederick Galiay (b, electronics, voc), Fabrice Martinez (tp, bugle, tuba, perc, voc), Laurent Bardainne (ts, bs, perc, voc), Thomas de Pourquery (dir, arr, as, ss, lead voc, theremin, melodica, perc), guest : Jeanne Added (voc # 6)

Label / Distribution : Quark

Pour commencer, passons aux aveux : je n’ai jamais été fortement attiré par la musique de Sun Ra. J’ai peu de disques de lui, quelques solos que j’aime bien mais assez tardifs dans sa carrière, peu de disques de la première période. J’aime beaucoup le film qui a été tourné sur l’orchestre (« Sun Ra, A Joyful Noise »), en particulier à cause de l’humour dont fait preuve le leader, humour verbal et associatif, avec ses équivoques sur « mystery », « hystery » et « history », et quelques autres. Cela me conforte heureusement dans l’idée que toute la bimbeloterie spatio-temporelle qu’il a trimballée au cours des âges n’était (partiellement bien sûr) qu’un rideau de fumée. J’ai vu et entendu l’Arkestra en direct une fois, à Bordeaux, très tard dans la nuit et très longuement. J’ai le souvenir de m’être ennuyé assez vite.

Deuxième aveu : le présent disque de Thomas de Pourquery avec « Supersonic » pourrait bien me faire changer, sinon d’avis (on verra), du moins d’orientation. Car il est de nature à susciter le désir de mieux connaître les « originaux » dont s’est inspiré le saxophoniste pour cette session [1]. Car du début à la fin, la musique ici est pleine d’ardeur, d’humour, de pétulance, superbement construite et arrangée - en un mot, de nature à provoquer ce que le Soleil lui-même annonçait comme son programme : donner du bonheur à ceux qui l’écoutent et, par conséquent, les troubler, car ce bonheur, nous ne sommes pas vraiment prêts à en accepter la venue.

Le dilemme est total : car si Thomas de Pourquery et son équipe superlative font mieux que Sun Ra (plus précis, plus en place, quasi mieux emballé et plus emballant), c’est ennuyeux. Et si nous retournons aux « originaux » quitte à être déçus, c’est encore plus gênant. De fait, il s’agit de bien d’autre chose, et c’est ce qui sauve l’entreprise de toute comparaison : fidèle en cela à une tradition qu’on fait remonter à Jelly Roll Morton, pour Thomas de Pourquery l’important n’est pas ce qu’on joue, mais la manière. Prendre les thèmes de Sun Ra et les jouer comme des standards, c’est s’inscrire dans cette manière, et c’est une entière liberté qui s’ouvre alors. Pour preuve ce « Love In Outer Space » qui vous revient aux oreilles comme une comptine, et tout le jeu autour de la fête (parfois foraine) que représente la musique de Sun Ra. Il n’y a que le bonheur qui compte.

par Philippe Méziat // Publié le 27 janvier 2014
P.-S. :

- Sur France Musique (Open Jazz)

[1Dont il dit par ailleurs qu’elle a dû être recomposée au dernier moment suite à la perte de plusieurs années de travail pour cause de vol d’ordinateur…