Chronique

Yvan Robilliard

Lifetimes

Yvan Robilliard (p, kb), Laurent David (elb), Justin Faulkner (dms).

Label / Distribution : Le Triton

C’est toujours un grand plaisir de retrouver Yvan Robilliard. Qu’il fasse parler le feu au sein du Jus de Bocse de Médéric Collignon (réécoutons le pétulant et très cinématographique MoOvies !) ou qu’il agisse en son nom propre, comme en témoignait Big Rock en trio il y a quatre ans, le pianiste sait répondre présent aux rendez-vous des énergies.

Après la parenthèse solo Homemade en 2022, un disque né du confinement dans lequel il démontrait sa capacité à s’emparer de l’électronique autant que de la musique acoustique, on le retrouve cette fois en formation serrée, à la tête d’un autre trio comptant dans ses rangs Laurent David (déjà au générique de Big Rock) et Justin Faulkner, jeune batteur connu pour être membre du quartet de Brandford Marsalis. Avec Lifetimes, allusion directe au Lifetime de Tony Williams, c’est une nouvelle déclaration d’amour de la part d’Yvan Robilliard : celle qu’il adresse aux musiques généreuses en quête de brassage, ce jazz mêlé et volontiers puissant qu’il forge en puisant aux sources du rock, de la pop et du funk. Et qu’on ne s’y trompe pas, ce disque ne consiste pas en une nouvelle lecture de la musique de Tony Williams : le batteur est certes une source d’inspiration première, mais à la manière d’un catalyseur dont le sens de l’exploration fonctionne comme un modèle. Sa présence est réelle à l’écoute des dix compositions du disque, mais au-dessus, comme une ombre tutélaire et bienveillante. Il n’y a chez Yvan Robilliard et ses partenaires aucun désir d’imitation ni même d’identification.

Avec le savoir-faire de Daniel Yvinec en charge de la direction artistique de l’album, on peut être certain que cette machine à groove est en de très bonnes mains. La paire rythmique est redoutable de complicité autant que d’efficacité, offrant au pianiste une véritable piste d’envol, au piano comme au synthétiseur. Les conditions d’enregistrement du disque – dans la salle du Triton et dans les conditions du live, les musiciens disposés en cercle, sans casque – comptent sans doute pour beaucoup dans la sensation qu’on éprouve au fil des écoutes. Celle de la jubilation communicative d’un trio solidaire au sein duquel les forces sont délivrées de façon équitable, sans retenue mais toujours avec élégance. Yvan Robilliard est le leader, certes, mais c’est bien ici un groupe, un vrai, qui est en action. Le jazz-rock n’est pas mort, qu’on se le dise ! Nul doute que la scène devrait être pour ces trois-là une autre source de joie. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.

par Denis Desassis // Publié le 26 novembre 2023
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