Chronique

Evan Parker - Daunik Lazro - Joe McPhee

Seven Pieces - Live At Willisau 1995

Evan Parker (ts, ss), Daunik Lazro (bs, as), Joe McPhee (ss, as, cl, pocket tp)

Label / Distribution : Clean Feed

Organisée par Dominique Répécaud, la tournée (France, Allemagne et Suisse) qui réunissait en 1995 trois des grandes figures ayant participé à définir les contours des musiques improvisées n’avait donné lieu qu’à un seul disque, paru sur le label Vand’Oeuvre (dans lequel on retrouvait deux sets différents). L’heureuse et récente découverte d’un enregistrement sur cassette édité aujourd’hui sur le label Clean Feed est, aujourd’hui, l’occasion de prolonger l’aventure et confirme l’importance d’une rencontre qui a marqué son temps par son originalité et sa cohérence.

Enregistrée au festival de Willisau, entre la date de Colmar et celle de Vandoeuvre-lès-Nancy, cette captation tord le cou à une idée reçue qui voudrait que, dans cette esthétique, tout concert soit radicalement différent des précédents. Le trio montre, au contraire, que les points de convergence d’un soir à l’autre ne sont pas le fait d’une redite mais plutôt l’approfondissement d’un univers qui trouve son équilibre dans la distance que chaque instrumentiste trouve avec ses partenaires. Les trois soufflants se partageant équitablement un espace sonore qu’ils animent par des cycles amples et apaisés.

Si le son mat et plein des saxophones (majoritaires, sauf Joe McPhee, qui joue également trompette et clarinette) revêt parfois une forme de dureté, l’art de la conversation dont ils font preuve ne cesse, en effet, d’éblouir l’oreille sans saturer l’attention. Jouant de dissonances débarrassées des brûlures du free jazz, par un foisonnement de contre-chants métalliques, de contrepoints entrechoqués et d’ornementations crépitantes et resserrées, ils enrichissent une parole portée à tour de rôle ou qui se superpose autour d’un foyer incandescent selon l’impulsion du moment.

Car cette musique (faut-il le rappeler ?), trouve sa beauté dans l’improvisation totale dont elle tire sa magie sans jamais négliger une forme aussi soignée que parfaitement libre. Daunik Lazro, plus prégnant que sur le précédent enregistrement, adossé à un Joe McPhee constamment inventif, laisse libre cours à un lyrisme rauque et déchirant que contrebalancent les interventions d’Evan Parker aux tourneries immobiles. Le trio tente tous les alliages : scintillement des suraiguës, forage des basses, approche du cri sans y verser. Répartissant les propos en parties duelles ou même solitaires, il ne donne à aucun moment la sensation de chercher une voie mais plutôt d’explorer et fertiliser un territoire habité par une sensibilité proprement émouvante.