Entretien

Nefertiti, le code morse futuriste

Le quartet Nefertiti, lauréat de Jazz Migration, a le vent en poupe

© Nefertiti

Les sémillants jeunes gens de Nefertiti Quartet ont accepté de répondre à nos questions avant leur concert. Avec la participation de la pianiste compositrice Delphine Deau (D), la saxophoniste Camille Maussion (CM), le batteur Pierre Demange (P) et le contrebassiste Pedro Ivo Ferreira (Pe)

Delphine Deau (p), Camille Maussion (ss, ts) © Christophe Charpenel

- Cette résidence à l’Osons Jazz Club, c’était dans la perspective d’un nouveau projet…

(D) Oui, dans la perspective d’un troisième album. Il devrait sortir au printemps 2021. La résidence était calée depuis longtemps. On sortait d’une grosse tournée Jazz Migration et on avait besoin de se poser pour un nouveau temps de création. Pour ma part, j’amène l’écriture. À partir de cette matière, on travaille ensemble pour créer un arrangement collectif qui nous convienne à tous afin que, une fois sur scène, on ne refasse pas tout le temps la même chose.

(CM) Dans le cadre d’une résidence on peut vraiment pratiquer l’improvisation libre et voir ce que cela peut donner par rapport au matériel qu’apporte Delphine. S’imprégner de ses idées pour les tourner à notre manière, ça prend du temps. Le son de groupe, lui, se fait sur scène. On a eu la chance de pouvoir faire beaucoup de concerts sur des scènes différentes et il est certain que ça nous permet d’avoir une matière sonore conséquente.

(P) On se donne des contraintes parfois, des règles du jeu, que ce soit sur le tempo, le volume sonore… ou même parfois on travaille à deux instruments, pour voir ce que donne par exemple un duo piano-batterie.

(CM) Pour sortir du schéma thème-solo on pratique des jeux d’improvisation libre. Par exemple, personnellement, je n’écoute que la contrebasse pendant que le piano et la batterie, de leur côté, sont à l’écoute l’un de l’autre. Ça ouvre des perspectives. Ce sont des contraintes de travail qui nous permettent d’être beaucoup plus libres quand on est sur scène. C’est de la recherche pour développer l’interaction.

Camille Maussion © Christophe Charpenel

- Comment se déroule une journée en résidence de création à l’Osons Jazz Club ?

(D) Après une heure où chacun se chauffe, on se retrouve pour déchiffrer… et parfois, c’est yoga au bord de la piscine ou même quelques longueurs !

(P) Quand on se retrouve tous les quatre, on commence toujours par un moment d’improvisation collective.

(CM) On fait ça pour se mettre dedans. Au début d’une résidence on lit tout le matériel que Delphine amène. On organise un programme. On est toujours entre des moments d’improvisation libre et des moments de travail sur un morceau précisément. On essaie de trouver des points à développer. Parfois, ça se débloque le jour même. Parfois, cela intervient plusieurs mois après. On enregistre ce que l’on fait et, en réécoutant le soir, il peut arriver qu’une idée puisse donner sa forme au morceau sur le moment, ou que l’on se dise qu’il faut encore attendre. C’est très variable.

(P) Lors de précédentes résidences on a pu se fixer un programme. Ici, on était plus sur l’écoute les uns des autres.

Rester individualistes

- La longévité du groupe vient-elle de ces expériences ?

(CM) Ça fait huit ans qu’on se connaît, sept ans qu’on joue ensemble. C’est une aventure musicale et humaine.

(D) On se connaît très bien, ça nous permet aussi de rester individualistes. On peut vraiment mettre notre patte. Esprit de groupe, cela veut dire que chaque individu va encore plus jouer à sa façon, avec un son collectif fait des qualités mais aussi des défauts de chacun.

(CM) On va chercher à se surprendre également. L’idée, c’est de ne pas rester tout le temps dans les mêmes choses.

(P) C’est un de nos objectifs, qu’il y ait vraiment quatre lumières sur nous mais aussi que, finalement, on soit cinq. Il y a nous quatre mais aussi une cinquième chose : ce que l’on fait ensemble. C’est que l’on cherche à développer.

- Musicalement, donc, comment vous êtes-vous rencontré.e.s ?

(CM) On était tous au Conservatoire Régional, à Paris. J’ai monté le groupe pour passer mon prix de fin d’année.

(P) On était dans la classe de Jean-Charles Richard, saxophoniste, et il y avait aussi Pierre Bertrand qui intervenait pour les cours d’arrangement.

(D) Le Conservatoire avait un partenariat avec la scène off de Marciac, ce qui nous a permis de jouer là-bas. Les enseignants nous encourageaient vraiment. Leur but étant que leurs cours donnent lieu à beaucoup de projets par la suite.

- Comment concevriez-vous une ligne directrice ?

(D) On se pose souvent la question. Pour le premier album, on s’est rassemblés autour de mes compositions, sans réfléchir vraiment à cela. Pour le second disque on a poursuivi ça. Pour le troisième disque, c’est justement la question à laquelle on réfléchit et on aimerait bien creuser cette direction.

(Pe) L’important c’est d’ailleurs plus la question que la réponse.

(P) C’est dans cet esprit qu’on travaille et c’est cela qui est beau, justement. Quand on travaille et qu’on s’écoute, rétrospectivement, on se dit que tel ou tel morceau ressemblerait à ce que nous sommes. Mais on ne sait pas encore ce qu’est ce « nous ». On cherche constamment à le faire advenir.

Pierre Demange © Christophe Charpenel

- De quels langages musicaux vous nourrissez-vous ?

(D) Dans les compositions que je propose, j’ai une écriture d’abord rythmique. Je pars d’abord sur des riffs sur lesquels je superpose des sons avec l’ordinateur. Mais je me dis maintenant qu’il faut que tout chante, que tout doit partir de la mélodie. C’est certain que j’aime beaucoup The Bad Plus par exemple, mais rien n’est vraiment figé quant à mon imaginaire musical.

(CM) Personnellement j’ai joué beaucoup de musique contemporaine. J’ai un parcours d’études en saxophone classique et en jazz simultanément. J’aime beaucoup ces musiques qui nous sortent de nos habitudes. Et puis mes parents jouent du rock’n’roll et peut-être m’ont-ils légué ce côté rythmique qui me manque parfois dans les pièces de musique contemporaine. Je suis toujours à la recherche d’un bon petit rythme même quand je me retrouve à jouer complètement seule. Lorsque ma mère jouait de la batterie quand elle était enceinte de moi, ça a certainement produit quelque chose ! Au-delà de Nefertiti, ce que j’aime amener, à travers ma musique, c’est donc un côté intime, entre improvisation libre et ancrage au sol.

On ne sait pas encore ce qu’est ce « nous »

(P) Pour ma part, je viens du rock, depuis mon enfance. Je me suis très tôt ouvert aux musiques du monde via les percussions. L’Afrique bien sûr. Puis le jazz, dans un second temps. Avec l’accès aux contenus qu’ont nos générations via internet, je me plonge dans beaucoup de musiques. Il n’y a pas besoin de prendre un mois pour voyager et découvrir, par exemple, les musiques pygmées. Je me nourris de tellement de choses, musicalement parlant, que je ne saurais vraiment m’arrêter à un style. Je m’adapte aux propositions musicales que l’on m’adresse en cherchant la meilleure manière d’accompagner tout en cherchant mon chemin. Depuis peu je me tourne vers les musiques improvisées : c’est très récent et en cours d’exploration. Dans notre génération il n’y a pas vraiment d’étiquette. Aussi, parfois, on est un peu perdus. Mais c’est une richesse.

(Pe) De mon côté ma première rencontre avec la musique, c’est avec le reggae. J’en jouais avec mon frère, au Brésil. Mon professeur de basse m’a alors initié au jazz et je suis littéralement tombé dans Jaco Pastorius. Comme il n’y avait pas vraiment de scène musicale dans ma ville d’origine, je suis allé à São Paulo à l’âge de vingt-deux ans, pour étudier la musique et jouer. Ensuite, je suis venu en Europe. D’abord à Paris au CRR. Maintenant, j’étudie aux Pays-Bas. Je suis musicalement très curieux.

Un peu comme dans la caverne

- Comment pensez-vous que le jazz puisse parler aux jeunes générations ?

(CM) Je suis persuadée que, quelle que soit la musique que l’on fait, elle peut parler à toutes les générations. Surtout aux tout-petits. Eux, ils mangent toutes les musiques, à partir du moment où c’est généreux et sincère. Je fais suffisamment d’interventions musicales auprès de publics différents pour en être certaine. Je fais beaucoup de sound-painting, mais ce n’est pas que par ce biais que j’en suis arrivée à cette conclusion. On doit faire une musique qui permet aux gens de se connecter, en particulier dans cette période.

(P) Pour moi, le concert est primordial pour qu’on partage l’énergie dans un même espace. Un peu comme dans la caverne primitive. D’autre part, le jazz, comme d’autres musiques de niche, doit être partagé le plus tôt possible, par exemple à l’école.

(CM) Il y a des millions de choses passionnantes à faire avec celles et ceux, comme les instit’, qui font de l’action culturelle sur des territoires et dans des lieux très différents. On peut avoir des surprises incroyables, même avec des adolescents. Surtout quand on est dans le partage.

par Laurent Dussutour // Publié le 13 décembre 2020
P.-S. :

Entretien en fin de résidence de création avec Nefertiti Quartet réalisé à l’Osons Jazz Club (Lurs, 04), le 6 septembre 2020