Sous la direction de Franck Médioni
Monk Mystère
Un gros et lourd livre, un bloc, à la couverture marron frappée du nom de Monk écrit avec une police de caractères qui évoque la mise en page du disque de 1956, Monk mystère est un ouvrage sous la direction de Franck Médioni, écrivain et journaliste (notamment pour France Musique).
La forme rejoint le fond - mieux : l’objet, son sujet. À l’intérieur, on découvre une somme de textes, de photographies et d’illustrations sur le pianiste Thelonious Monk et, à l’instar de cette figure majeure de l’histoire de la musique du XXe siècle, géant (par la taille) mutique et génial, lui aussi d’un seul bloc, ouvrir les pages du livre, c’est pénétrer dans un monde unique, fragmenté, et, dans le même temps, étonnant et cohérent.
Ayant sollicité ou retrouvé des témoignages de nombreuses personnalités situées à l’épicentre du jazz (John McLaughlin, Daniel Humair, Joe Lovano, Bernard Lubat, Henri Texier, Yaron Herman, Benjamin Moussay etc.) ou en périphérie, mais tout autant légitimes pour parler d’un musicien qui touche chacun (Clint Eastwood, Charlélie Couture, Pascal Dusapin, Pacôme Thiellement, Jean Echenoz), connues ou moins (et cela importe réellement peu), le livre s’attache à parcourir la chronologie du pianiste, de sa naissance à sa mort, en divisant cette existence en chapitres qui sont les grandes étapes de son parcours.
Complétés par une série de photos (signées Jean-Pierre Leloir, Jacques Bisceglia, Guy Le Querrec entre autres) et d’illustrations aux traits puissants (Ben, Stéphane Cattaneo, Christophe Chabouté, Jean-Claude Götting, etc.), et en pleine page, d’abord, on papillonne, d’un commentaire à un dessin. Puis, comme lorsque l’attention accroche à trois petites notes de Monk qu’on pensait connaître dans un morceau écouté pourtant des centaines de fois, et dont l’enchaînement s’avère beaucoup plus complexe que l’évidence qu’elles énonçaient d’abord, et qui nous révèlent alors une autre dimension, on traverse le miroir et on entre dans le monde de Thelonious.
La somme de ces textes notamment, met à plat des caractéristiques foncières. L’unicité du musicien, son originalité, un style qu’il a lui-même défini et dont il est le seul dépositaire tout en se trouvant à l’origine de nombreuses vocations, l’honnêteté profonde de l’homme, cette incapacité à tricher et à être autre chose que lui-même, cette proximité enfin, pour ceux qui l’aiment et le vénèrent. Monk est un être entier, d’une densité incroyable et chaque témoin s’évertue à en montrer une facette avec justesse.
Bill Frisell l’avoue (p.187) : Je pense à lui tous les jours : sa musique remonte à la source et s’étend jusqu’aux confins de l’espace (…) Un petit enfant peut écouter sa musique, la comprendre, l’aimer, danser dessus tout en reconnaissant que c’est du Monk. Un chercheur universitaire, un mathématicien pourrait passer sa vie à l’étudier sans jamais en venir à bout. Au fur et à mesure que l’on s’approche et qu’on l’épluche, de plus en plus de détails se révèlent….
Monk est un personnage définitivement irréductible dans le sens où on ne peut le réduire à rien et qu’il est nécessaire de le prendre en son entier. Ce beau livre en rend compte. Il synthétise un savoir sur ce musicien. Surtout, il nous invite à écouter, aussitôt, encore, et toujours, son piano.