
Les musiques confluentes d’Hugo Diaz
À la rencontre d’un jeune saxophoniste et compositeur, à la tête d’un quartet qui fait entendre sa « petite musique » depuis quelque temps.
© Jacky Joannès
Hugo Diaz, saxophoniste originaire de Montbéliard, s’est fait remarquer voici quelques années par une première participation en quartet au tremplin Nancy Jazz Up !, sous la férule de Nancy Jazz Pulsations, avant d’être récompensé à plusieurs reprises [1]. Son quartet a publié en 2024 un premier album, Confluences, dont nous avons souligné les qualités et la sensibilité romantique. Il nous a donc semblé important d’en savoir plus sur un musicien qui se sent lui-même lorsqu’il joue du saxophone soprano, son instrument de prédilection, et qui sait que la vie d’un musicien est une perpétuelle remise en question.
- Hugo Diaz © Jacky Joannès
- Commençons par une question très simple : comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
La musique a été omniprésente durant mon enfance. Mon père est musicien amateur, il a joué de l’accordéon et de la basse électrique durant sa jeunesse. En parallèle de son métier, il était DJ le week-end. La chanson, la variété et la pop ont bercé mon enfance, plus que le jazz et la musique classique auxquels je me suis intéressé plus tard, à l’adolescence et par l’intermédiaire des études. Mes parents me parlent souvent de mon frère jumeau et moi, tout jeunes, dansant et chantant au milieu du salon sur les centaines de CD en tous genres qu’écoutait mon père à la maison.
- Et le saxophone est entré dans cette histoire ?
La rencontre avec le saxophone s’est faite très simplement. Des essais d’instruments dans l’école de musique de la ville, et puis une évidence. Je ne l’ai jamais quitté depuis. À l’âge de 15 ans, j’ai intégré le conservatoire de Montbéliard où j’enseigne aujourd’hui. J’enseigne également dans l’école où j’ai commencé : je viens de prendre le relais de la professeure avec laquelle j’ai eu la chance de débuter le saxophone à l’âge de 8 ans. Une pédagogue formidable. Elle me laisse un héritage précieux, avec une classe de 25 élèves passionnés et investis. Après Montbéliard, j’ai passé deux années au conservatoire de Versailles dans la classe de Vincent David, un musicien remarquable qui m’a beaucoup apporté. Avec lui, j’ai notamment abordé la musique contemporaine en profondeur, le répertoire du saxophone classique, les transcriptions baroques et la musique française du XXe siècle. Ensuite, j’ai intégré l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg où j’ai suivi un double cursus classique / jazz avec Philippe Geiss (qui m’a beaucoup aidé dans mon développement artistique), puis Michael Alizon et Philippe Aubry.
- Vous jouez exclusivement du saxophone soprano. Pourquoi ce choix ?
Je dois évoquer une rencontre fondamentale dans ma vie de musicien. Celle de Jean-Marc Larché avec qui j’ai eu le bonheur de travailler durant plusieurs années. Aujourd’hui encore, le musicien et l’homme sont pour moi une grande source d’inspiration. Il a été mon professeur de saxophone classique, mais il m’a initié au jazz et à l’improvisation. C’est la rencontre avec Jean-Marc qui a également influencé mon choix du saxophone soprano. J’ai eu la chance de croiser des pédagogues qui m’ont permis de développer mon identité artistique. Ils m’ont aiguillé et conseillé pour que je puisse gérer de la meilleure des manières la balance entre le monde du jazz et celui du classique. Aujourd’hui, je crois réussir à me nourrir de ces deux cultures dans mon projet personnel, notamment grâce à la pratique du saxophone soprano, un instrument exigeant avec lequel j’ai abordé différents répertoires. Je joue toujours beaucoup d’alto, notamment dans le cadre de mes cours. Mais pour le moment, mes projets personnels appellent le soprano, ce son, celui avec lequel je me sens moi-même. Lorsque je joue du saxophone alto, j’ai la sensation de vouloir un peu plus « imiter ». Cela a été très positif dans l’apprentissage et l’élaboration du langage. Ça l’est toujours et c’est très important lorsqu’on joue notre musique, le jazz, et ce qu’elle porte historiquement. Mais je crois que le soprano me permet de développer quelque chose de probablement plus personnel, certainement car il m’apparaît comme étant moins fortement référencé.
Je ne sais même pas si je me considère comme un musicien de jazz ou peut-être suis-je jazzman car je me nourris moi-même de toutes les musiques qui me parlent
- Les musiciens sont à la recherche d’un son qui leur est propre. Est-ce que vous pensez y parvenir et comment travaillez-vous votre instrument en ce sens ?
J’ai longtemps travaillé pour trouver mon son et mon phrasé en passant par des exercices techniques intensifs, mais également en recherchant un compromis idéal avec mon matériel. Avec le recul, je ne pense pas l’avoir trouvé ; je crois plutôt qu’il s’est imposé à moi. Je pense que mon oreille et mes influences ont façonné mon identité musicale. Aujourd’hui, je ne crois plus être à la recherche d’une identité, mais je souhaite faire en sorte de la consolider pour qu’elle puisse me permettre de continuer à créer dans le temps.
- Vous avez recours à des effets. Est-ce que vous pensez développer ce volet dans les temps à venir, dans la mesure où vous le faites avec discrétion ?
Je les utilise effectivement avec discrétion, car je les envisage comme une coloration du son et non un élément central du projet. D’autres musiciens incroyables tels que Guillaume Perret ou Pierre Lapprand sont bien plus spécialistes en la matière que moi. L’utilisation de ces effets est intervenue à un moment d’expérimentation durant lequel j’ai souhaité faire des recherches pour donner probablement plus d’ampleur au timbre du saxophone soprano, dont le spectre peut parfois sembler plus difficile à intégrer au son d’un quartet standard que celui d’un alto ou d’un ténor. Pour le moment, je ne pense pas développer davantage cet aspect de mon jeu.
- Vos influences musicales sont assez étendues et passent aussi par la musique impressionniste du début du XXe siècle. Votre vision du jazz est donc assez élargie ?
Je ne saurais pas vraiment vous dire si ma vision personnelle du jazz est élargie ou si le jazz l’est tout simplement de plus en plus. Je dirais que cela paraît presque logique dans la mesure où c’est une musique qui s’est perpétuellement nourrie de ce qu’il y avait autour d’elle, telle une boule de neige qu’on ferait rouler pendant des décennies. Je ne sais même pas si je me considère comme un musicien de jazz. Ou peut-être suis-je jazzman car je me nourris moi-même de toutes les musiques qui me parlent. Je crois que je suis avant tout musicien, saxophoniste, et que la musique que je propose s’inscrit dans cette esthétique, car elle est en partie improvisée.
- Vous attachez une grande importance à la mélodie. Comment composez-vous ?
Mon processus d’écriture n’est pas celui d’un musicien classique. Étonnamment, il est guidé davantage par l’instinct que par la théorie. Je passe par le piano, mais surtout par le chant. Souvent, je pose les doigts sur le clavier, j’écoute, je relève. Je chante un motif rythmique, je chante une mélodie, je la joue au saxophone, puis je relève. Je me base évidemment sur mon langage et sur les notions théoriques que j’ai appréhendées lorsque je joue et lorsque j’improvise. Mais quand j’écris, j’essaye de me focaliser sur une sorte de chant intérieur. Il me semble que ce chant est influencé par toutes les musiques que j’ai pu entendre depuis mon plus jeune âge.
- Hugo Diaz © Jacky Joannès
- Quels sont les musiciens qui comptent le plus pour vous dans votre parcours ?
Je pourrais citer de nombreuses références du saxophone et des musiciens majeurs de l’histoire du jazz qui ont influencé mon évolution à des moments différents de mon parcours. Mais en toute objectivité, si je devais citer les musiciens qui ont été les plus importants pour moi, je dirais qu’il s’agit de l’ensemble des pédagogues qui m’ont accompagné durant mes longues années d’études musicales. Elle n’est pas donnée à tous les jeunes musiciens, mais j’ai eu cette chance de ne croiser que des personnalités à l’image de Jean-Marc Larché, que j’évoquais tout à l’heure, et qui reste mon mentor. Je pourrais également citer Stéphane Scharlé, batteur du groupe Ozma qui, par l’intermédiaire du dispositif « Propulsion », m’a énormément apporté quant à mon intégration dans le réseau professionnel du jazz.
- Comment votre quartet s’est-il constitué ?
J’ai rencontré Alexandre et Louis Cahen (respectivement pianiste et batteur du quartet, NDLR) durant mes études au Département Jazz du Conservatoire de Strasbourg. Ce sont deux musiciens formidables avec lesquels je me suis lié d’amitié durant ma formation. Lorsque j’ai décidé de former le quartet, ils étaient déjà tous deux étudiants au Jazz Campus de Bâle, une école dont ils sont récemment sortis diplômés. Alexandre est titulaire d’un Master de composition et Louis d’un Bachelor. Ma rencontre avec Vladimir Torres a été d’une nature différente. J’ai découvert ce musicien sur les réseaux sociaux, et je suis tombé sous le charme de sa musique et de ce son de contrebasse hors du commun. Nous avons très vite eu la chance de jouer sur de nombreuses scènes. C’est ce qui nous a permis de travailler notre son et de faire évoluer la musique que j’avais proposée au départ. Notre entente et la cohésion de ce groupe est très précieuse, sur scène comme dans la vie. À la genèse du quartet, j’ai apporté l’essentiel du matériel musical que nous avons ensuite retravaillé ensemble. Car dans un second temps, il était important que mon écriture puisse laisser place à l’expression des personnalités affirmées de ces trois musiciens.
Le thème de l’eau qui coule c’est aussi celui de la quête éternelle et du rapport au temps dans la vie d’un musicien en perpétuelle remise en question
- Le thème récurrent de l’album Confluences est l’eau. Pourquoi ce choix ?
Le titre de l’album est Confluences, car il est le fruit de toutes les influences que j’ai pu emmagasiner jusqu’à aujourd’hui durant mon parcours de musicien. C’est en quelque sorte le point de jonction entre celles-ci, à un moment charnière de ma vie d’artiste. Le thème de l’eau qui coule, c’est aussi celui de la quête éternelle et du rapport au temps, dans la vie d’un musicien en perpétuelle remise en question.
- L’année 2024 a été intense pour le quartet avec beaucoup de concerts ?
Elle a effectivement été très intense et nous fêterons en mars 2025 la cinquantième date du projet. Cette magnifique tournée a notamment été possible grâce au soutien de partenaires précieux, tels que Nancy Jazz Pulsations. Thibaud Rolland, le directeur de NJP, ainsi que les membres du jury du tremplin Nancy Jazz Up, ont toujours été à mon écoute et ont soutenu notre musique et ma démarche pendant plus de deux ans. Ce partenariat a donné lieu à plusieurs concerts, dont celui du NJP 2024. Thibaud Rolland et Nancy Jazz Pulsations ont parrainé le quartet dans le cadre de notre participation au tremplin Réseau Jazz à Vienne 2024, ainsi que pour notre candidature à l’édition 2025 du dispositif Jazz Migration.
- Pouvez-vous évoquer le répertoire à venir du quartet et nous dire vers quoi vous aimeriez vous diriger ?
J’ai évidemment le désir de faire perdurer ce groupe et d’explorer de nouveaux champs avec ces musiciens qui me sont si chers. Le second album est donc dans un coin de ma tête même si ce n’est pour le moment pas une priorité, car je ressens actuellement le besoin d’écrire pour de nouvelles formations moins conventionnelles. Je travaille sur un projet, pour lequel je vais associer des voix de femmes au saxophone . Cela fait un certain temps que je souhaite me prêter à l’exercice de ce type d’écriture, et ce virage me paraît être opportun après la direction qu’a prise le premier album. J’espère pouvoir conduire mes futurs projets avec autant de bonheur et de passion que lors de la réalisation de Confluences. C’est la création qui m’anime, mais cette création se nourrit elle-même du désir profond d’un partage sur scène. Comme nombre d’entre nous, je suis terriblement inquiet pour notre avenir de musiciens, et plus globalement pour notre monde, lorsque je vois la considération de certains pour l’art et la culture.