Chronique

Luis Lopes’ Humanization 4tet

Believe Believe

Luis Lopes (g), Rodrigo Amado, Aaron Gonzales (b), Stefan Gonzales (dms)

Label / Distribution : Clean Feed

La dernière fois que nous avions entendu le Humanization 4tet du guitariste Luis Lopes, nous étions en 2013 pour un Live at Madison brûlant, qui nous rappelait à quel point la fusion entre le saxophone de Rodrigo Amado - anguleux, puissant, exemple parfait de raucité - faisait bon ménage avec la dense base rythmique des frères Aaron et Stefan Gonzales. Notamment le bassiste, Aaron, dont la capacité à structurer la plus sauvage des rages reste un grand mystère d’équilibre, à l’image de ce « Engorged Mosquitoes » où le saxophone ténor se cogne en tous coins, se fracasse contre la guitare de Lopes, étincelante comme une lame, et pourtant ne déborde jamais d’un cadre étroit, solide, et conséquemment direct et puissant. Toute la musique de l’Humanization 4tet est concentrée dans cet instant, dans cette poussée de violence entre souffle et électricité dominée par la paire Gonzales qui précipite les antagonismes pour en faire une fusion pleine de fluidité à défaut d’être concordante : le propre de la tension, c’est de créer les conditions de la détente.

Le précédent disque s’ouvrait sur un titre d’Arthur Blythe. Ici, c’est « Eddie Harris » qui nous plonge dans la mêlée. Il ne s’agit pas d’un morceau du ténor qui a joué Breakfast at Tiffany’s, mais bien du contrebassiste Bill Lee, dans un album de Clifford Jordan [1]. Le thème est fugace, étonnamment décontracté, joué sans fard par Amado, comme un point de départ, une racine commune que Luis Lopes va s’empresser de déconstruire. Lorsque la guitare entre en jeu, c’est comme une déflagration qui se répercute sur les cymbales de Stefan Gonzales. La musique va droit devant sans se soucier des obstacles. Entrer dans le vif du sujet, crever l’écran sans souci du ravaudage. Ca n’empêche pas Rodrigo Amado de reprendre le dessus comme on jette de l’huile sur le feu ; en toute logique, les risques d’explosion se multiplieraient sans l’effet catalyseur de la contrebasse.

Paru chez Clean Feed, Believe Believe est de ces disques coup de poing qu’on aime encaisser régulièrement, qui réveillent et mettent en appétit. Dans la foultitude d’orchestres où émarge Luis Lopes, c’est certainement le plus brut et le plus compact. On pensait que Big Bold Back Bone faisait office d’exutoire, mais huit ans après leur dernière alliance, on constate à quel point ce quartet est fondateur. Influencé par Joe McPhee ou Peter Brötzmann, le Humanization 4tet livre une musique sans fioriture ni superflu mais qui offre aux musiciens une liberté et une latitude rares, à l’instar de « She » qui montre la facette plus sombre du guitariste, de celles que l’on entend habituellement dans ses Love Songs et qui trouve ici un développement plus collectif. Un disque court et direct, mais qui ne se limite pas à sa virulence indéniable. Le plaisir des retrouvailles.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 mars 2021
P.-S. :

[1Glass Bead Game, avec notamment Stanley Cowell au piano (1974), NDLR.