Chronique

Manuel Hermia Trio

Austerity... And What About Rage ?

Manuel Hermia (ts, bansuri), Manolo Cabras (b), João Lobo (dms)

Label / Distribution : Igloo

Après Long Tales and Short Stories, précédent album en 2013, le trio du saxophoniste Manuel Hermia propose avec Austerity... And What About Rage ? de remettre le jazz au centre d’un discours, sinon émancipateur, au moins profondément révolté. Dans un long texte qui accompagne ce disque sorti sur le label Igloo, le musicien belge, très impliqué sur la scène wallonne à travers l’association Les Lundis d’Hortense, contextualise la politique « austéritaire » en vogue en Europe pour mieux s’en servir comme le combustible d’une rage que son ténor foncièrement coltranien n’est pas seul à porter. Il faut entendre le jeu rogue de sa base rythmique sur l’explosif « Infobesity » pour s’en convaincre. Manolo Cabras étonne tout au long de l’album par la sécheresse de son jeu. La contrebasse est dure, vindicative, contondante même sur « Esda » lorsqu’il s’agit de s’extirper d’une algarade entre le batteur et le saxophoniste.

Cabras et João Lobo sont les artificiers idéaux pour cette insurrection qui vient. Hermia cite Archie Shepp : « Le jazz est pour la libération de tous les peuples » ; dans son disque, celle-ci peut être paisible, douce même parfois lorsqu’il se saisit de son bansuri sur le dense « Revelations ». L’exposé est précis, appliqué, extrêmement collectif. La batterie de Lobo, qu’on a pu voir avec Mâäk ou aux côtés de Giovanni Di Domenico, construit un chemin sinueux mais balisé dans lequel le saxophoniste peut s’épanouir idéalement. Fortement influencé par la musique indienne, ce qui s’était traduit par Rajazz dont on perçoit ici quelques fragments (« Rajazz #3 »), son credo révolutionnaire est à l’image des théories de Gandhi, pacifique mais déterminé, ce qui n’enlève rien à la colère et au côté implacable du propos. Hermia est lyrique, c’est un chef d’escadron qui sait se placer en pointe de son orchestre sans se mettre en avant avec cette virulence qu’on avait pu remarquer dans God at The Casino, enregistré récemment avec Sylvain Darrifourcq.

En utilisant sa musique comme matériel politique, et en le situant dans le contexte actuel, Hermia interroge le jazz européen sur sa capacité à reprendre le flambeau d’une révolte nécessaire et de lui donner du sens, en dehors du rang. Il le fait de manière abrupte, avec un trio qui peut faire songer à ce que les canadiens Lambert et Carrier ont pu présenter dans leurs récentes collaborations avec Mazur ou Edwards (« Marecages »). Une sorte d’aggiornamento de « l’art du cri » du free jazz né aux Etats-Unis, par des musiciens européens qui reformuleraient un discours anguleux en repartant des origines. Du passé, faisons table rase. L’occasion de rappeler qu’au départ, la sentence était également sacrément libertaire, à l’image de ce réjouissant trio.