Nicole Mitchell & Alexander Hawkins

En soi, l’évènement que constitue la rencontre entre deux improvisateurs de l’acabit de Nicole Mitchell et Alexander Hawkins ne relève pas de la surprise : le pianiste britannique proche de Roberto Ottaviano et la flûtiste étasunienne, ancienne dirigeante de l’AACM, ont suffisamment en commun pour qu’on imagine une cristallisation immédiate. Un morceau comme « What Are You Afraid of ? » semble l’illustrer parfaitement, où les vagues du piano à la densité toujours fascinante répondent à l’inventivité de la flûte. Le dialogue tangue entre pas de deux et vents contraires, jusqu’à ce que Mitchell se mette à déclamer la question du titre dans le fracas puissant de la main gauche d’Hawkins. Il y a une tension poétique évidente dans ce duo ; la voix de la flûtiste devient pleine lorsqu’elle évoque la liberté pendant que son compagnon bâtit mille ornementations complexes pour donner champ et espace. C’est le titre central, et le plus long. Il se nourrit des miniatures qui le cernent, telle « Interlocking Imaginations » et son environnement vif-argent aux fortes racines puisées dans la musique écrite occidentale.

C’est bien ce qui impressionne ici, cette capacité à convoquer presque instantanément des climats fugaces, notamment grâce au piano. « Jalopy Ride » est ainsi bardé de références monkiennes dont Nicole Mitchell se saisit avec gourmandise, le growl naissant annonçant la prise de contrôle de la voix dans un déluge d’ostinati virulents. La voix ici est synonyme de liberté et de défiance : « What are you afraid of ? », ressasse la flûtiste dans le galvanisant « To Speak Truth » où Hawkins devient plus liant, plus concertant. Cette liberté est lumineuse, contagieuse, et s’empare d’une quiétude nouvelle que Hawkins illustre dans « The Stars Are Listening » avec quelques cloches bousculées entre quelques accords rageurs.

L’équilibre entre la fraîcheur de l’improvisation et la lente construction d’un terrain de jeu organique et plein de dénivelés est le secret de cet At Earth School enregistré au café OTO de Londres en octobre 2022. Elle témoigne d’une langue véhiculaire trouvée sans efforts par ces musiciens nourris aux mêmes sources de la Creative Music. On ne sera pas surpris dès lors de savoir que c’est l’aventureux label texan Astral Spirit qui publie ce très bel album sous forme de cassette [1], histoire de lui conférer davantage de mystère.