Chronique

Manuel Hermia

Rajazz

Manuel Hermia (as, ss, fl), Erik Vermeulen (p), Lieven Venken (dm), Sam Gerstmans (b)

Label / Distribution : Igloo

Mélanger ragas indiens, musiques tonale et modale, voilà la dernière idée qui a germé dans la tête du saxophoniste belge Manuel Hermia. pas étonnant, quand on connaît son amour pour l’Inde, les musiques du monde et John Coltrane.

Pour faire simple, Rajazz, contraction comme vous l’aurez deviné de « raga » et de « jazz », est un travail basé sur la gamme pentatonique qui utilise les intervalles communs de la pentatonique voisine pour pivoter vers la suivante et offrir à l’improvisateur un champ d’exploration plus large encore. Vous voulez approfondir le sujet ? Rien de plus simple : tout est expliqué dans le livret d’accompagnement ainsi que sur le site du musicien.

Et si cela peut paraître complexe, le résultat est limpide.

Un résultat à la fois brûlant et raffiné comme une épice de Madras. En outre, comme évoqué plus haut, l’esprit coltranien n’est jamais loin. Hermia assume d’ailleurs clairement cette influence, allant jusqu’à placer une reprise emblématique, celle d’un des plus fidèles pianistes du Trane : « Contemplation » de McCoy Tyner. L’interprétation est à la fois respectueuse et très personnelle. Il y insuffle un supplément d’âme et Erik Vermeulen, au piano, subjugue par son toucher subtil et inattendu. Entouré de cet excellentissime pianiste, (décidemment trop peu mis en lumière sur les scènes européennes), du très coloriste Lieven Venken à la batterie et de Sam Gerstmans à la contrebasse, Hermia crée un tourbillon d’émotions. Car au-delà d’une réflexion musicale, c’est bien de cela qu’il s’agit : d’émotion.

Le spirituel et l’introspection côtoient la joie et la ferveur. Tandis que « I’m Just Me » ouvre en force, avec « Indian Suite » et « Internal Sight » on est plongé dans le labyrinthique miroir de l’âme ; « Awakening » et « Always Smiling », eux, nous font renaître plus purs. Quant à « Rajazz », il résume presque à lui seul la démarche du saxophoniste. Construit en trois étapes, à la manière d’un raga, il réexpose le thème par un « alap » [1], puis en développant celui-ci sur un tempo plus rapide avant de terminer par un groove bouillonnant et fiévreux comme une transe. Chaque musicien apporte tour à tour son idée et tous construisent ensemble une musique d’une intensité rare et jubilatoire.

Enfin, pour clore l’album sur une prière pour un monde plus juste et plus équilibré, « Little Sonata For El Mundo » dévoile, à la manière du sage, toute la sensibilité de Manuel Hermia à la flûte traversière.

Avec Rajazz, le saxophoniste a mis au point une autre respiration de la musique, qui ne demande qu’à se développer à loisir. On attend déjà la suite…