Chronique

Roberto Ottaviano & Alexander Hawkins

Charlie’s Blue Skylight

Alexander Hawkins (p, Rhodes), Roberto Ottaviano (ss)

Label / Distribution : Dodicilune

Depuis quelques années, le saxophoniste italien Roberto Ottaviano travaille avec Alexander Hawkins, ce pianiste anglais incroyable dont la discographie a de quoi faire pâlir d’envie de nombreux musiciens. Après avoir côtoyé Anthony Braxton dans un coffret de Standards et avoir enregistré avec Tomeka Reid, après avoir travaillé avec Ottaviano sur Resonance et Rhapsodies, il était presque naturel de retrouver le sopraniste italien et le pianiste britannique en duo, tant leur complicité est évidente [1]. Et comme terrain de jeu de cet échange, la musique de Mingus s’imposait presque : la main gauche ferme de Hawkins, véritable bâtisseur sur « Hobo Ho », en est l’exemple parfait. Face à lui, Ottaviano étincelle. Le soprano se saisit du thème, le tord sans jamais sortir des rails. Rendre un hommage au contrebassiste, sans contrebasse. Mais avec ce même esprit turbulent et rugueux.

Ceci n’empêche nullement des instants plus intimes, des introspections et des choix plus poétiques. Telle est l’approche que le pianiste engage dans « Oh Lord, Don’t Let Them Drop That Atomic Bomb on Me ». Loin de la version ironique et fataliste de Mingus dans Oh Yeah !, Hawkins cherche une petite musique de nuit, lancinante comme une terreur nocturne, qui trouve le thème lorsque la main gauche se rapproche inéluctablement des basses du piano. Ottaviano se tient éloigné de ce morceau, comme le pianiste le laisse face à un miroir sur « Canon ». Mais on retrouve ce même esprit plein de douceur sur « Self Portrait in Three Colors » où le soprano joue au plus simple, avec ce son plein et rond, marque infaillible de Roberto Ottaviano. Il faudra le plus pugnace « Dizzy Moods » pour renouer avec une tension plus palpable, et quelques citations glissées qui donnent à ce morceau une forme plus kaléidoscopique, où le jeu d’Ottaviano se pare, à petites touches, de quelques couleurs chères à Lacy.

On reconnaît cette même démarche dans « Smooch a.k.a Weird Nightmare », alors qu’Alexander Hawkins passe au Rhodes. Dans cette configuration, le soprano d’Ottaviano se fait plus caressant que jamais, tout en puisant dans une rythmique impeccable qui sonde l’âme. On atteint l’équilibre parfait entre douceur et rupture dans « Pithecanthropus Erectus », sans doute le sommet de cet album. D’abord très abstrait, entre slaps du saxophones et phrases heurtées du piano qui garde cependant une basse stable, le thème se construit peu à peu, comme par osmose ; il faudra, encore une fois que la main gauche d’Hawkins reprenne le dessus, se charge de la tâche de la contrebasse, pour que la lumière jaillisse. Elle est alors incroyablement chaleureuse. Au-delà d’un bel hommage, c’est globalement une missive enflammée au jazz qu’écrivent les deux musiciens, doublée d’une histoire d’amitié entre deux artistes de deux générations. Deux discrets incontournables de la scène européenne.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 décembre 2022
P.-S. :

[1Relire notre interview où Ottaviano loue son partenaire.