Scènes

Marilyn Crispell et Gerry Hemingway à Arles

Merveilleux équilibristes… Tant qu’il y aura des musiciens de cette qualité et des lieux pour les accueillir… Marilyn Crispell et Gerry Hemingway célébrent l’union du piano et de la batterie. La cérémonie s’est tenue ce 14 mai 2013, chapelle du Méjan à Arles, devant quelques dizaines de témoins et invités.


Tant qu’il y aura des musiciens de cette qualité et des lieux pour les accueillir… Marilyn Crispell et Gerry Hemingway célébrent l’union du piano et de la batterie. La cérémonie s’est tenue ce 14 mai 2013, chapelle du Méjan à Arles, devant quelques dizaines de témoins et invités.

Tout en discrétion souriante, elle plonge d’emblée dans le clavier, chevelure auburn enveloppant le visage et la concentration. Lui, svelte, le pas décidé, toupet blond en bataille, est un quatre étoiles devant ses fourneaux – une simple batterie… de nouvelle cuisine. Et ils nous embarquent dans une virée stratosphérique d’une heure et demie. Trois morceaux, un rappel. La grâce et l’invention permanentes. L’amour sur scène, le public voyeur des oreilles, auditeur du regard. Eux deux dans leur jeu fusionnel, presque à l’aveugle, car dans l’écoute réciproque totale dans cette totale improvisation, réinvention à chaque concert vécu comme une aventure.

Marilyn Crispell © Frank Bigotte

Les mots du chroniqueur restent à la traîne face à la musique, qui parle sa propre langue. Vain dialogue des claviers – ordinateur pour l’un, piano pour l’autre. Cause toujours. Crispell joue, se joue des notes, des modes, des harmoniques. Hemingway virevolte, peaux et cuivres. Frappe, frotte, gémit, caresse. Le voilà qui danse littéralement devant le vibraphone, les mailloches comme un ballet d’abeilles.

Tout deux se cherchent et se trouvent sans cesse. Mystère de la grande musique, celle qui ne trompe pas, qui se dévoile dans l’immédiat de l’instant et transcende les genres — Musique, avec capitale et majuscule. Ça va de la note effleurée au big bang volcanique, dont on n’est d’ailleurs pas si loin, quand peaux, cuivres et cordes se déchaînent dans un beau maelström, et que le solo de Gerry Hemingway nous coupe le souffle par son inventivité inouïe.

Marilyn C. (1947, Philadelphie, USA), études classiques au conservatoire de Boston ; vit désormais à Woodstock (si !) où elle travailla jadis avec Antony Braxton et son Creative Music Orchestra. Sur sa route, on trouve aussi Roscoe Mitchell (Art Ensemble of Chicago), puis Reggie Workman, Gary Peacock (avec qui elle va publier sous peu un disque chez ECM), Paul Motian… Mais c’est sa propre musique qu’elle joue « en associant l’intellect et l’émotion ». Sa lignée pianistique : Cecil Taylor, certes, mais aussi, ajoute-t-elle, « Paul Bley, Abdullah Ibrahim, John Coltrane tout en haut – et Bach ! » De nos jours, un cousinage avec Craig Taborn ? « Euh, oui et non. Ou plutôt non et oui ! … »

Gerry Hemingway © Frank Bigotte

Gerry H. (1955, New Haven, USA), de la lignée d’Ernest – par le père, tandis que la mère a connu et fréquenté l’écrivain et même chassé avec lui dans le Montana… Ce n’est pas un drummer au sens traditionnel, mais un coloriste, bruitiste et mélodiste des peaux et cymbales qu’il réchauffe de son souffle chantonnant ou caresse volontiers des doigts et de l’archet. Lui aussi a fréquenté de près Braxton (onze ans dans son quartet) et Cecil Taylor. Aujourd’hui, il enseigne à Lucerne (Suisse) dans la classe de jazz de l’université, dont il parle avec passion : « Enseigner la musique, c’est être amené à la penser et donc à la jouer autrement – tous les musiciens devraient enseigner ! Ils devraient aussi savoir analyser finement leur musique. Ainsi, par exemple, Marilyn et moi, nous pouvons revivre mentalement le concert de ce soir et en analyser des passages entiers… Ce que je demande à mes étudiants en s’exerçant à la pensée critique ».

Une quinzaine d’années plus tard, retrouvailles avec ces deux merveilleux équilibristes. Le festival Sons d’hiver les avait programmés, avec Barry Guy, acrobate de la contrebasse. Marilyn et Gerry, quant à eux, n’ont pas changé. C’est ce qu’on dit des gens qu’on aime, puisqu’on les a immortalisés.

par Gérard Ponthieu // Publié le 27 mai 2013
P.-S. :

Saluons au passage la programmation de Jazz in Arles 2013 (18e édition), réalisée par Jean-Paul Ricard. Lundi, Journal intime. Mardi, Crispell - Hemingway. Mercredi, Edouard Ferlet solo. Jeudi, Guillaume de Chassy trio. Vendredi, Ralph Alessi – Fred Hersch. Samedi, Susanne Abbuehl.