
El Comité, Chief Adjuah : éclats multicolores au Chapiteau
Nancy Jazz Pulsations 2024 # Chapitre VIII - Jeudi 17 octobre, Chapiteau de la Pépinière : El Comité / Chief Adjuah.
Chief Adjuah © Jacky Joannès
Ce sera pour nous la seule incursion cette année au Chapiteau de la Pépinière, autrefois scène emblématique du jazz à NJP. Désormais dévolu pour l’essentiel à d’autres musiques (blues, rap, reggae, variété…), le lieu reste néanmoins le siège historique du festival, témoin privilégié de ses vibrations uniques. Ce soir, entre Cuba et la Nouvelle Orléans, ses tentures ont pris de belles couleurs.
Dans le sillage de leur deuxième album, Carrousel (Caramba Records, 2024), les sept Cubains d’El Comité, collectif festif né du côté de Toulouse en 2016, sont passés par la Lorraine. Soulignons au passage que l’un d’entre eux, le pianiste Harold Lopez-Nussa, était à l’affiche du Marly Jazz Festival au printemps dernier, en trio cette fois. On parlera donc de retour pour ce qui le concerne. El Comité, machine à rythme parfaitement huilée (et très joyeuse), s’appuie sur la propulsion d’un trio particulièrement robuste (Rodney Barreto à la batterie, Yaroldy Abreu aux percussions et Gaston Joya à la basse et contrebasse) couplé à une paire de pianistes pistons tout aussi percutante (Rolando Luna étant aux côtés de Lopez-Nussa). Cette métaphore de nature mécanique permet de mieux comprendre qu’avec une telle équipe lui déroulant son tapis rythmique luxueux, les deux soufflants (Irving Acao au saxophone et Carlos Sarduy à la trompette) peuvent se livrer durant une heure à une succession de joutes qu’on suit avec un plaisir non dissimulé. Certes, El Comité ne réinvente pas la roue de la musique cubaine. On ne lui en demande pas tant, d’ailleurs. L’essentiel réside dans le vrai plaisir qu’on ressent à les voir et les écouter jouer aussi unis, en véritables amis qu’ils sont, placés sur un pied d’égalité. C’est un groupe « équitable » qui veut vivre l’instant présent, en puisant dans un même élan à la source de cette musique qui les nourrit depuis toujours et qu’ils continuent de célébrer avec beaucoup d’éclat à distance, depuis cette Europe où ils se sont installés. L’appel en fin de concert à la chanteuse Laura Prince (déjà vue lundi soir lors du concert de Toku) en sera de ce fait presque superflu. Elle ajoute à ce moment festif une note à la tonalité « variété » pas vraiment convaincante. Gardons surtout en mémoire ce qui s’est joué auparavant, comme un appel à ne pas baisser les bras. Les couleurs d’El Comité sont un bel antidote à la grisaille ambiante.
- El Comité © Jacky Joannès
Onze ans se sont écoulés depuis la dernière visite de Christian Scott à Nancy Jazz Pulsations. C’était déjà au Chapiteau lorsque le trompettiste avait fait forte impression, ainsi que nous le relations dans les colonnes de Citizen Jazz. Entre temps, Scott a changé d’identité pour devenir Xian Atunde Chief Adjuah et porter la bonne parole de sa « Stretch Music », qui est aussi le titre d’un album paru en 2016. Pour mémoire, rappelons que Chief Adjuah est le petit-fils du grand chef Donald Harrison Sr. et du grand griot de la Nouvelle Orléans, fondateur du Guardians Institute, dont l’objectif est la préservation de la culture indigène de la Nouvelle Orleans et des traditions de la diaspora africaine. Il est par ailleurs le neveu du saxophoniste et compositeur Big Chief Donald Harrison Jr. Quant à la « Stretch Music », elle veut « inaugurer une nouvelle ère du jazz » par une approche ethnomusicologique qui ne connaitrait pas de limite.
Une transformation humaine et esthétique, donc, qu’on perçoit dès l’entrée de Chief Adjuah sur scène : jouant de l’« Adjuah Bow », instrument de son invention qui est le jumeau électrique des harpes traditionnelles d’Afrique de l’Ouest, le leader chante et semble invoquer les esprits, menant un groupe dont la coloration très électrique doit tout autant au rock qu’au jazz. Ce n’est que quelque temps après qu’il empoignera sa trompette (ou son bugle) dont il façonne parfois le son au moyen d’effets. L’éclat et le lyrisme mêlés de son jeu sont toujours là, tels que nous les avions ressentis en 2013. Chief Adjuah est un musicien charismatique. Mais si l’esprit de sa musique est inchangé – une énergie spirituelle et un engagement militant – peut-être la forme est-elle un peu moins convaincante du fait d’une esthétique plus consensuelle, moins radicale (ici nous revient constamment en mémoire le choc de son précédent concert au Chapiteau). Les musiciens sont collectivement et individuellement engagés, délivrant un jeu (sur)puissant aux confins du jazz et du jazz-rock, émaillé de nombreux solos (mention particulière au guitariste Cecil Alexander) et de morceaux de bravoure parfaitement millimétrés. C’est un sans faute haut en couleurs. Chief Adjuah laisse d’ailleurs à ses partenaires (qu’il présentera très longuement) une large place, préférant souvent se mettre de côté. Peut-être est-ce là le privilège du chef ? Mais c’est sans doute le sentiment d’un « show » très professionnel qui gêne un peu aux entournures, au-delà du message universel et nécessaire de communication profonde entre les êtres qu’il véhicule. On aurait envie d’être un peu plus bousculé, dérangé, on voudrait ne pas savoir où toute cela nous mène… On reste un peu sur sa faim, avec le sentiment d’être passé à côté de ce qui aurait pu être « L’Heure Jazz 2024 » au Chapiteau de la Pépinière… Ne boudons toutefois pas notre plaisir : le spectacle était bien là !
- Chief Adjuah (aka Christian Scott) © Jacky Joannès