Chronique

Moneyfriends

American Hangover

Brad Henkel (tp),
 Dan Peter Sundland (b), Fabian Jung (d).

Label / Distribution : Boomslang Records

Un chien erre dans un quartier financier avec son maître, un musicien de jazz endetté jusqu’au cou pour ses études. Le conte cynique qui ouvre cet album pose la question de la survie d’un artiste dans un système qui valorise l’argent plus que l’humain. Bienvenue dans le monde du capitalisme, bienvenue dans les lendemains qui déchantent, dans la gueule de bois américaine.

Basé à Berlin, le trompettiste américain Brad Henkel est entouré par le bassiste électrique norvégien Dan Peter Sundland et le batteur allemand Fabian Jung. À eux trois, ils injectent une dose d’antidote musical contre le venin maléfique qui fait sombrer le monde dans le libéralisme. Déterminés, les cinq morceaux d’American Hangover se noient dans la complexité et l’enchevêtrement d’improvisations radicales.

« We Don’t Talk About Money​/​Aria Pecunia Fiduci » atteint des sommets, le chaos laisse subitement place au chant angélique du contre-ténor Johann Moritz von Cube, spécialiste des œuvres de Johann Sebastian Bach. Son intervention se recentre autour d’un texte en latin qui traite de la nature de l’argent - thème récurrent de l’album, les effets immoraux de la finance qui se succèdent inlassablement au fil des siècles.

Brad Henkel produit un amalgame débridé de souffles contrariés, de cris étouffés et de lamentations désespérées ; il ne laisse aucune chance à l’apaisement, l’urgence devient son leitmotiv. « Highly Effective People » va rapidement se diriger vers l’abstraction sonore, le traitement électronique se calque sur des voix de plus en plus menaçantes, le tout ponctué par la basse sourde de Dan Peter Sundland. Véhémentes, les structures musicales sont habitées par l’anxiété et le chaos, elles aboutissent à un apéritif acide qui préfigure les éclaboussures du plat de résistance « Brunch Drink ? » bousculé par les rythmes endiablés de Fabian Jung.

Ce trio réussit un tour de force : son univers musical pénètre dans la conscience de l’auditeur et ne l’abandonne plus, l’envahissement des notes amoncelées ne permet plus aucun retour en arrière, on est littéralement happé par cet acte musical oppressant.

par Mario Borroni // Publié le 16 février 2025
P.-S. :