Chronique

Naked Truth

Avian Thug

Graham Haynes (tpt, electronics), Lorenzo Feliciati (el b, g, keys), Roy Powell (elec kbds, analog synths, organ, prepared piano), Pat Mastelotto (d, el d, perc)

Label / Distribution : RareNoise Records

Robert Fripp disait de King Crimson : « C’est avant tout une manière de faire les choses ». On peut mesurer l’envergure et l’héritage du groupe de rock progressif par quelques carrières solo honorables, celles de Keith Tippett, d’Adrian Belew, de Robert Fripp ou encore de Bill Bruford ; et surtout par une somme impressionnante de projets dans le sillage du Roi Cramoisi. Parmi lesquels, le groupe de jazz-rock UK, The League of Crafty Guitarists, le Crimson Jazz Trio, les Stickmen.

Avec Naked Truth, Pat Mastelotto, batteur de King Crimson depuis 1994, apporte une nouvelle ramification à cette grande famille. Si on percevait déjà l’influence King Crimson sur Shizaru et Ouroboros, ce troisième album affirme davantage cette filiation.

En témoignent le morceau « Trap Door » qui suit des chemins rythmiques empruntés dans la suite « Construkction Of Light », l’entêtant « Lazy Elephant » reposant sur un groove très crimsonien et ses ruissellements de piano évoquant le jeu de Keith Tippett à la fin de « Cirkus » (Lizard, King Crimson, 1970). Le groupe va jusqu’à greffer au fantomatique « Day Two At Bedlam », un sample de « Vroom » (Thrak, King Crimson, 1995) et des cordes qui rappellent « Lark’s Tongues In Aspic ».

Le jeu moelleux de Lorenzo Feliciati à la fretless laisse entendre l’influence de Jaco Pastorius et de Bill Laswell. Par ailleurs on rappellera qu’il a un pied dans le rock progressif puisqu’il a réalisé un album en collaboration avec le bassiste de Porcupine Tree, le saxophoniste de Van Der Graaf Generator et Nils Petter Molvaer dont on retrouve aussi l’empreinte sur certaines ambiances de l’album.

A l’instar de Miles pendant les années 70 et 80, Graham Haynes apporte beaucoup d’effets différents à sa trompette. Sans rien enlever au phrasé et à la respiration, les effets donnent de l’ampleur au jeu du trompettiste et mettent en relief les compositions du groupe. Certains thèmes joués par le trompettiste évoquent les couleurs de « Bitches Brew » ou de « Aura ».

Roy Powell joue de l’orgue, du piano préparé et des synthés analogiques. Son choix de textures vintage apporte un contraste intéressant aux explorations électroniques du groupe. On pourrait lui prêter l’intention de Joe Zawinul de « jouer acoustique avec des instruments électriques ».

Quant à Pat Mastelotto, dont on connaît le goût prononcé pour la batterie et les percussions électroniques, il ne tombe pas dans le piège du tout synthétique comme ce fut parfois le cas sur certains live ou « Projekcts » avec King Crimson. Son jeu puissant et viril apporte beaucoup de caractère à cet album en particulier.

Avian Thug poursuit les explorations engagées par Shizaru et surtout par Ouroboros mais en accentuant davantage sa filiation. La musique gagne en force et en unité, se révèle plus rock et organique.

Naked Truth assume l’héritage des années 70 sans tomber dans le rétro. C’est sans doute ce qui les distingue de beaucoup de formations actuelles se revendiquant du rock progressif.