Chronique

Yuko Fujiyama, Graham Haynes, Ikue Mori

Quiet Passion

Yuko Fujiyama (p), Graham Haynes (tp, électroniques), Ikue Mori (électroniques)

Label / Distribution : Intakt Records

Discographiquement discrète (quelques disques sporadiques depuis les années 90), la pianiste japonaise Yuko Fujiyama propose un nouvel enregistrement qui pourrait être un trio mais pas seulement. Entendue au début des années 2000 au côté de Wadada Leo Smith (elle est membre de son Silver Orchestra) ou encore Roy Campbell (qui, lui, a participé à son quartet Re-entry), elle n’avait rien produit depuis Night Wave (chez Innova Recordings) en 2017, qui comptait en ses rangs Susie Ibarra et déjà Graham Haynes, qu’on retrouve aujourd’hui.

Les concordances entre la vie et l’art sont toujours hasardeuses mais riches en matière d’interprétation. De fait, il est aisé de mettre en parallèle cette discrétion (tout au moins vu depuis l’Europe) et un style qui, lui aussi, joue de l’ellipse. Par une succession de miniatures, elle aborde le piano avec une grande rigueur formelle et donne à entendre une maîtrise technique indéniable doublée d’une culture large. Des grands maîtres romantiques au piano du XXè siècle, mais surtout de Cecil Taylor à Marillyn Crispell (comme le soulignent les notes de livret), elle se place dans le prolongement d’une approche novatrice de l’instrument, à la recherche d’un sens nouveau.

Sans se laisser déborder par une énergie qui alimente pourtant chaque note frappée, elle déroule des pièces qui se situent aux portes de l’abstraction, complétées par la mise en voix de deux poèmes du poète Shuntaro Tanikawa. Yuko Fujiyama s’accompagne, selon les pistes, du cornet de Graham Haynes qui porte au clair une sonorité cuivrée, elle aussi faite de lignes biaisées, ainsi que des effets électroniques apportés par Haynes et Ikue Mori.

A la fois trio donc, mais aussi duo, parfois solo, les configurations évoluent et donnent une couleur changeante à l’ensemble du disque. Il en résulte une dimension organique et troublante, du fait des modulations des machines qui s’imbriquent dans la chair acoustique des instruments. Une évanescence stimulante et tempérée qui nous donne l’occasion d’entrer de plain-pied dans l’univers de cette pianiste dont on souhaiterait connaître mieux le travail.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 20 novembre 2022
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