Sur la platine

Nino Locatelli : Lacy, clarinette fidèle

Nino Locatelli a joué avec Steve Lacy ; il en a gardé de nombreux stigmates


Giancarlo Locatelli, que ses amis appellent Nino - c’est même ainsi que nous le retrouvons crédité sur de nombreux disques - n’est pas forcément le plus fameux des jazzmen italiens. Né en 1961 près de Milan, le clarinettiste a pourtant pour lui une discographie touffue et des collaborations de choix. A côté des Italiens Gianluigi Trovesi et Giancarlo Schiaffini, on trouve des figures internationales de poids comme Peter Kowald et Barre Phillips… Mais c’est sans conteste Steve Lacy qui l’aura profondément marqué, jusqu’à en faire un sujet d’étude.

C’est en 1991 que le clarinettiste enregistre en quintet Trochus, second album auquel s’adjoint Steve Lacy himself pour quelques morceaux qui deviennent la matrice du matériel improvisationnel de Locatelli. Le musicien, très jeune à l’époque, se retrouve à capter « Art  », œuvre Lacyenne s’il en est, en duo avec le saxophone soprano de son aîné. On eût pu penser la chose enfouie dans les souvenirs, tant les échanges libérés de toute attache stylistique, notamment avec le pianiste Alberto Braida (Diciannove Calefazioni), prirent le dessus. C’était compter sans le besoin de retourner aux sources renouveler son langage, ou simplement réchauffer ses souvenirs.

C’est ce que nous propose Situations, premier album solo de Nino Locatelli, strictement - ou presque - concerné par la musique de Lacy. Il n’y a pas « Art  », où la clarinette basse se serait peut-être sentie trop seule, mais le « Blues for Aïda  » est absolument déchirant. Locatelli a aussi travaillé avec Mal Waldron, et l’on a le sentiment qu’il s’immisce dans l’intimité des deux légendes, sans réclamer sa part ; c’est un fantasme personnel, une sorte d’infusion de souvenirs et de sentiments qui fait entrer ce disque dans la famille clairsemée des soli constellés de fantômes, où l’imagination à sa large part. « Trickles », autre pièce emblématique de Lacy, suit la même logique : la clarinette de Locatelli suggère, elle entraîne, elle se joue de l’absence de rythmique pour créer une série de lignes brisées comme autant de numéros d’équilibristes. Il y a beaucoup d’émotion dans cet enregistrement de 2014 qui ne nous parvient qu’aujourd’hui, par la grâce des explorations de BandCamp.

Pour continuer dans la découverte de ce grand clarinettiste, il est tout indiqué de prendre également des nouvelles d’un batteur italien dont nous avions parlé il y a quelques années. Cristiano Calcagnile est, comme Locatelli, fortement marqué par cette génération de jazzmen américains passés en Europe et qui avaient trouvé en l’Italie un lieu d’enregistrement et de liberté assez rare. Sur The Gift of Togetherness, qui vient de paraître sur le label Caligola Records, on retrouve la clarinette basse de Locatelli sur des reprises de Don Cherry ou d’Ornette Coleman, avec un sextet augmenté uniquement péninsulaire.

On retrouvera notamment Alberto Braida au Fender Rhodes sur « Brown Rice » de Cherry, sans doute le morceau le plus plaisant de ce bel album. Pour lui donner la réplique, comme pour charger l’atmosphère d’orage, Locatelli déchire la rythmique solide par des phrasés tranchants. Les disques ont du mal à quitter la platine !