Scènes

Son et lumière au LU : Fixin Extended

Sylvain Darrifourcq présente une version en trio de son projet Fixin. Un déferlement de son et de lumière saisit le spectateur.


Sylvain Darrifourcq, photo Fabrice Journo

Troisième déclinaison du projet Fixin mis en place par Sylvain Darrifourcq, Fixin Extended a été présenté au Lieu Unique à Nantes le jeudi 8 juin. Face à un public saisi par une performance totale, autant sonore que visuelle, le batteur invite à une expérience qui, au-delà de l’expérience sensible, interroge sur le rôle de l’humain et de la machine, la perception du vu et de l’entendu et, plus généralement, repousse un peu l’attendu traditionnel d’un concert.

Sylvain Darrifourcq, photo Fabrice Journo

Durant l’attente qui précède le début du concert, on scrute le dispositif mis en place. Sur le devant de la scène, trois toms ont été disposés, chacun séparés de quelques mètres. Un dispositif mécanique placé dessus. Derrière dans la pénombre, on devine les trois musiciens : au centre Sylvain Darrifourcq, assis derrière une batterie ; à sa droite Ronan Courty, à la contrebasse, avec qui il a déjà travaillé sur Tendimite et à sa gauche, violoncelle entre les jambes, Valentin Ceccaldi qui, lui, a déjà travaillé avec MilesDavisQuintet ! ou encore In Love With. Trois musiciens habitués à une pratique de la musique comme performance.

Dès le départ, le spectateur est chamboulé. Sur le principe d’un matériau rythmique minimal basé sur la répétition d’un motif métronomique, les musiciens avancent avec obstination dans le son, sans qu’on distingue qui fait quoi. Les frappes de la contrebasse et du violoncelle sont plus rondes bien sûr, la batterie plus sèche ou métallique mais doublée par le déclenchement des petites mécaniques placés sur les toms sur le devant, on s’y perd.

S’ajoute l’usage épileptique d’une lumière blanche qui tombe sur le trio ou sur les toms et crée un effet immédiat de spatialisation possiblement aléatoire. Le moment est difficile à décrire puisqu’il s’agit, avant tout, dans ce continuum, de perturber le spectateur. Outre les disjonctions sonores s’ajoute ainsi une série de trompe-l’œil (ou trompe-l’oreille) dans lesquels la vitesse des éclairages induit des effets stroboscopiques de ralenti et de décomposition du mouvement. Les bras levés du batteur ne semblent pas être en adéquation avec le son perçu.

le dispositif interroge autant l’humain que la machine car, en fin de compte, qui fait quoi ?

Un premier mouvement mathématique et inexorable, un second plus frontal et un troisième constitué d’un flux plus homogène s’enchaînent sans transition et structurent l’ensemble. Le risque aurait été de verser dans une trop facile transe technoïde, mais il n’en est rien. Par des superpositions de tempo, des ruptures ou accélérations, le dispositif interroge autant l’humain que la machine car, en fin de compte, qui fait quoi ?

Surchargé d’informations qu’il ne peut traiter convenablement, perturbé aussi par celles mal comprises, le spectateur ne sait plus où donner de la tête, ni de l’oreille. Ce dispositif machinique savamment scénographié et rendu plus complexe encore par la présence de deux instruments acoustiques (contrebasse et violoncelle) à la lourde charge symbolique (du baroque au jazz mainstream) qui brouillent le message et rendent l’instant savoureusement perturbant : moderne/ancien/avant-gardiste/expérimental/musique/non-musique, les possibles fusent en tout sens.

À la suite du concert, Sylvain Darrifourcq retrouve le public pour échanger sur le ressenti de la performance. Au côté de Nicolas Canot, concepteur numérique, homme de l’ombre et quatrième pôle du trio, il présente le fonctionnement de ce nouveau Fixin (le premier était constitué de machines seules, le second interprété par le batteur en solo). Les multiples informations contradictoires que les musiciens traitent (ou pas) en temps réel, l’obligation d’être concentré sur le geste, les propositions de la machine, qui déborde la possibilité d’en utiliser les messages par celui-là même qui pourtant la programme, ce savant monde mis en place est tout aussi intéressant à comprendre qu’à recevoir. Là encore, les questions du public montre que la performance touche tout le monde et que, des multiples portes d’entrée, aucune n’est prioritaire : toutes sont valables.