Scènes

Cartel Carnage : rebirth

Compte rendu du concert de Cartel Carnage à Nantes le 23 novembre 2019


Fred Maurin, photo Michael Parque

Renaissance d’un groupe qui pourrait bien devenir mythique, tant ses apparitions sont sporadiques et sa musique unique en son genre. Sur la scène du Dix dans le quartier sympathique et cossu de Chantenay à Nantes, le quintet revient avec un line-up modifié pour défendre de nouvelles compositions et en découdre une nouvelle fois avec la scène.

Six ans que la formation s’était tue. Six ans que Cartel Carnage, auteur de deux disques, ne faisait plus entendre parler de lui. Il aura fallu la volonté d’un fan de la première heure pour les réentendre à nouveau. Notre collaborateur Michael Parque, programmateur de la salle Le Pannonica pour la saison 2019/2020 (entre le départ de Cyrille Gohaud et l’arrivée de Frédéric Roy), a su être suffisamment persuasif pour les inviter à une reformation qu’on espère durable. Le monde de la musique ne passe pas uniquement par les musiciens ; c’est un ensemble d’acteurs qui, lorsqu’ils sont impliqués, lui donne aussi les impulsions nécessaires.

Ils entrent sur scène et le leader et chef d’orchestre Alexandre Tomaszewski, tout de noir vêtu, tient la basse électrique. A ses côtés, Fred Maurin, délaissant pour un temps l’Orchestre National de Jazz qu’il dirige depuis un an, tient fermement le manche de sa guitare, arborant fièrement pour l’occasion un t-shirt Public Enemy qui nous le rend immédiatement sympathique. Le batteur Rafaël Koerner, qu’on entendait chez Ping Machine autrefois (sans changer de patron, il est également dans le nouvel ONJ), tient les baguettes et le fond de scène. La rythmique est en place, rien ne la délogera.

La force d’impact est imparable. La basse est minimale, heurtée, et imprime au son une lourdeur qui évoque immanquablement les formations metal auxquelles elle se réfère. Une batterie foisonnante (qu’on aurait aimée un poil plus lourde, tant qu’à faire) éclate en mille coups et emporte la section dans une progression dévastatrice que seuls les motoculteurs les plus puissants sont capables d’atteindre lorsqu’ils ravagent les sols. La guitare, quant à elle, est à la fois le rotor et les lames. Tranchante, acérée dans ses accords, elle ne singe pas des riffs mollassons comme le font trop de guitaristes de jazz fleur bleue lorsqu’ils s’attellent à des genres qu’ils ne maîtrisent pas. Non, le rock violent doit être frontal, la guitare est frontale. Elle claque et les riffs sont chirurgicaux. La saturation est de la lave qui se met en mouvement dans des solos rapides.

Sylvain Cathala, photo Laurent Poiget

Côté soufflants, exit la trompette de Sylvain Bardiau qui officiait sur le disque, Julien Soro est désormais avec Sylvain Cathala. Les deux sont au ténor et ajoutent à la masse une épaisseur supplémentaire. Fissuré de déflagrations hurlantes que se plaît à apporter Soro, le pupitre creuse sa place dans le bouillonnement général. Les souffles sont rauques, resserrés, noirs également avec ce qui faut de cérébralité et de déroulé plus lent dans le propos de Cathala pour accrocher la pensée là où le corps tout entier est déjà sollicité. Car dans ce répertoire nouvellement écrit pour l’occasion, l’association jazz et metal fonctionne sans peine évitant des recettes artificielles qui apposeraient les ingrédients sans les mélanger.

Cohérent de bout en bout, au contraire, le set enchaîne des morceaux agressifs et des titres rampants aux atmosphères étouffantes. Le plaisant de cette musique (au même titre que le grind, le doom ou le free jazz), c’est que l’extrême n’est pas un état qu’on atteint au bout d’un long processus narratif. Il constitue, au contraire, le socle sur lequel on s’appuie pour tenter de le déborder. Alors forcément, après plus d’une heure à recevoir des baquets de décibels dans les oreilles, on sort ravi de ce genre d’expérience.