Chronique

Pascal Niggenkemper 7e Continent

Talking Trash

Pascal Niggenkemper (b), Eve Risser (p), Philip Zoubek (p), Julián Elvira (fl, pronomos), Joachim Badenhorst (bcl, elec), Joris Rühl (bcl, elec)

Label / Distribution : Clean Feed

Auparavant, les aventuriers partaient découvrir les continents dans de fières goélettes. Maintenant, à la suite du contrebassiste Pascal Niggenkemper, ils s’emparent de leurs instruments. Il faut dire que le leader a tout du maître d’équipage. Repéré à la tête de son Vision 7, où l’on retrouvait déjà Eve Risser, il multiplie les collaborations, avec Harris Eisenstadt ou Jean-Brice Godet. Le sextet part ici à la conquête du septième continent. Dans notre bas monde, il illustre toute l’inconséquence des hommes. Véritable conglomérat de plastiques et autres sulfures accumulés en une soupe mi-solide au milieu des océans, ce continent est devenu plus grand que l’Inde et annihile inexorablement faune comme flore. Il y a, dans cette horreur, une facette fascinante qui a inspiré Niggenkemper. Ce dernier use régulièrement d’une contrebasse préparée. C’était même le centre de son récent solo Look With Thine Ears. Est-ce cela qui a été le moteur de cette passion fulgurante ?

Si l’on envisage sa contrebasse tel un biotope en mutation, la litanie d’objets qu’il utilise, identiquement à ses deux pianistes Eve Risser et Philip Zoubek, il y a quelques parallèles à prendre... A ceci prêt que le septième continent exploré par le sextet a une beauté, certes fatale et étrange, mais réelle, au contraire de ce fatras turpide qui empoisse les océans. L’inouï provient de l’instrumentarium décidé par Niggenkemper. Eve Risser y est toujours aussi brillante : sur « Gyres océaniques », son jeu aux reflets debussyens fait absolument merveille. Le reste de l’Orchestre impressionne : deux claviéristes et un contrebassiste bricoleurs, un flûtiste sous-contrebasse, Julián Elvira qui remonte des fonds marins, et pour finir deux clarinettistes amplifiées comme autant de brise-lames en milieu acide. Joachim Badenhorst est un vieux complice de Niggenkemper, habitué des improvisations atmosphériques. Quant à Joris Rühl, qu’on avait découvert en duo avec Jacques Doneda, on est ravi de le rejoindre dans cette odyssée où l’on contemple l’étendue dans des sons tenus aux franges du silence, ankylosé par le désastre à la surface de l’eau.

Les possibilités sont infinies. Des mélodies s’échappent de la flûte quand la contrebasse fait claquer quelques rythmes, un piano peut se permettre une tournerie lorsque l’autre martèle (« Ideonella Sakaiensis »), une clarinette peut se réduire au simple souffle pendant que l’autre fait siffler son anche. Parfois, dans le tourbillon soudain qui peut s’ouvrir au milieu de la plénitude plastique, toutes ces associations changent, et les claviers répondent à la flûte de leurs cordes étouffées (« Geisternetz »). Lorsqu’on se plonge, le mot est juste, dans la « Platisphère » composition aux allures spectrales, on est étonné par la richesse des profondeurs, une fois percé le dépotoir. L’univers y a l’air hostile, mais on y respire mieux qu’à la surface. L’auditeur se figure la lumière qui peine à franchir la barrière de l’eau et ce vague mouvement qui anime les fonds marins revenus à l’état de Nature. Talking Trash, sorti chez Clean Feed est un disque troublant qui nécessite de s’immerger totalement pour donner du sens à ce que l’on entend. Le son peut être politique ; c’est la certitude qu’agglomère ce Septième Continent.