
The Attic + Eve Risser
La Grande Crue
Rodrigo Amado (ts), Eve Risser (p), Gonçalo Almeida (b), Onno Govaert (d)
Label / Distribution : NoBusiness Records
Près de deux ans après la sortie de Love Ghost, le saxophoniste Rodrigo Amado propose avec son trio The Attic un principe d’invitation que l’on avait connu chez un autre de ses orchestres, le Motion Trio. La pianiste Eve Risser vient ainsi compléter le line-up dans une configuration assez excitante : on sait depuis quelques mois maintenant quelle puissance peut receler le ténor du Lusitanien lorsqu’il joue avec un clavier. On avait dit, lors de sa première invitation d’Alexander von Schlippenbach, qu’il y avait eu pour Amado une forme de maïeutique nouvelle, qui a abouti au remarquable The Bridge. Jusque-là, Amado n’avait guère travaillé avec des claviers. La Grande Crue annonce que ce changement est durable, et que le raz-de-marée est collectif ; à l’écoute de « peau », et ce jeu toujours aussi anguleux du saxophone, on perçoit, outre le travail du contrebassiste Gonçalo Almeida, toute la puissance de l’orchestre. Le jeu de Risser est impétueux, colérique, puissant. Tout est concentré dans un même flux.
On pourrait penser à une opposition de style entre Risser et Amado. Mais dans le jeu de mouvement du saxophoniste, dans cette approche éminemment graphique, ce sont deux traits géométriques très complémentaires et qui s’avèrent très soudés : les rondeurs du jeu de la pianiste, qui alterne un jeu très puissant de la main gauche et cette errance caractéristique de la main droite, agissent comme une incitation aux cascades et aux ruptures du saxophoniste. Le tout est extrêmement bien encadré par la batterie très musicale d’Onno Govaert, qui est le ciment discret de cette Grande Crue. Ainsi dans « Pierre », alors que Rodrigo Amado se fait plus évanescent dans un moment chaleureux avec la pianiste, c’est le jeu de cymbale du Batave qui va pousser Eve Risser à davantage de rupture, et à jouer de nouveau la carte de la puissance collective.
Placé sous la protection des mots du poète portugais Nuno Júdice, La Grande Crue est un instant empli de cette poésie brute qui est l’apanage d’Amado. La rencontre avec Eve Risser est naturelle : les deux ont beaucoup en commun - leur penchant pour une improvisation marquée par le mouvement qui peut tendre vers la transe (« Phrase ») et leur goût pour l’image. Il y a dans ce disque quelque chose des fausses quiétudes chères aux tableaux de Giorgio De Chirico qui annoncent les déchirures à venir. Un bel ouvrage.