Chronique

Pat Metheny

Unity Band

Pat Metheny (g), Chris Potter (ts, ss, clb), Ben Williams (b), Antonio Sanchez (dms).

Label / Distribution : Nonesuch / WEA

Après deux expériences solitaires très différentes dans leur forme (Orchestrion, 2010 et What’s It All About, 2011), le guitariste Pat Metheny revient à une formule en quartet qui fait la part belle au saxophone – ici celui de Chris Potter, dont l’immense talent n’est plus à démontrer depuis une vingtaine d’années, dans ses propres projets ou aux côtés de géants comme Paul Motian, Joe Lovano, Herbie Hancock ou Dave Holland, pour citer les plus emblématiques. Cet instrument était absent de l’univers de Metheny depuis plus de trente ans, plus précisément depuis l’album 80/81 où, avec Charlie Haden et Jack DeJohnette, évoluaient à tour de rôle Dewey Redman et Michael Brecker, aujourd’hui disparus.

« Il m’a fallu trente ans pour me décomplexer », dit le guitariste. Et en particulier rencontrer Potter, dont il était déjà fan, puis travailler avec lui à l’occasion du premier album d’Antonio Sanchez, qu’il fréquente depuis dix ans, et comprendre enfin à quel point l’association paraissait naturelle. Ben Williams, complice de Sanchez et membre épisodique du trio de Metheny, a, quant à lui, trouvé sa place dans cet Unity Band. Le quartet ainsi constitué, le travail de composition pouvait commencer, qui a abouti aux neuf pièces de l’album.

Un album brillant, à la prise de son très claire, et magistralement interprété ; le Pat Metheny Unity Band est une réussite formelle. Le guitariste y déploie avec aisance toute sa palette, électrique, acoustique et synthétique, sans oublier le travail récent avec son limonaire contemporain baptisé Orchestrion. Il nous confronte à ses différentes sources d’inspiration et oscille d’un univers à l’autre, un peu comme s’il faisait dialoguer ses diverses facettes : celle qui célèbre le jazz dans une formule sinon classique du moins respectueuse de ses principaux codes ; une autre tournée vers un cross over aux accents pop où la guitare-synthétiseur tient une place de choix, à la recherche d’un accord des voix (avec celle du saxophone soprano en particulier). On connaît depuis longtemps sa tendance à brouiller les pistes et s’affranchir des étiquettes, exercice qu’il pratique en s’inscrivant dans un cadre esthétique raffiné. Pour mener à bien son projet, il peut compter sur la solidité éprouvée de sa cellule rythmique, et surtout sur la brillance du jeu de Chris Potter, jamais pris en défaut d’inspiration ni d’engagement physique dans le travail du groupe. Metheny, de son côté, crée la fluidité par son phrasé et installe à tout moment sa petite lumière par son attachement à des mélodies qui nous sont devenues presque familières.

Pourtant, quelque chose retient de s’enthousiasmer totalement pour cette première production du Unity Band. L’Unity Band n’évite pas l’écueil déjà fréquent dans le Pat Metheny Group, mais aussi chez une partie de la production US actuelle : la machine tourne à merveille, et les impuretés ne sont pas de mise. On reste un peu figé, comme devant un magazine au papier trop glacé dont on tournerait les pages avec un excès de précaution. Or, on préférerait sortir parfois du sentier, se frotter à une musique moins clinique. Il lui manque ici ou là la part d’inconnu qui donnerait le frisson ; on cherche en vain le supplément d’âme qui ferait de cet album un passeport vers un moment d’exception.

Des réserves donc, même si le quartet trouve les clés d’un épanouissement qui est la marque de sa volonté de livrer une musique aboutie. Par-dessus tout, c’est bien Potter le vrai détenteur du pouvoir de séduction, par sa verve et sa faculté d’habiter chaque note ; grâce à lui, on songe que Metheny a eu bien raison de ne plus bouder le saxophone après tant d’années. Potter insuffle de la vie dans une musique qui, sans lui, serait peut-être un peu trop lisse et distante. On a donc hâte donc de découvrir le quartet sur scène, histoire de ressentir sa vibration de plus près.