Scènes

Pentacle jette l’ancre à L’Archipel

Comme le fait remarquer Sophia Domancich, organiser un concert la veille du pont du 14 juillet relève de la gageure. Mais visiblement, le public connaît Pentacle ou fait confiance à la programmation de L’Archipel : la salle est pleine.


L’Archipel est un chapelet « d’îles dédiées à la culture et aux saveurs » [1] situé boulevard de Strasbourg à Paris. En fait d’îles, le lieu compte deux salles d’une centaine de places confortables, avec une vue dégagée et bar.

Comme le fait remarquer Sophia Domancich, organiser un concert la veille du pont du 14 juillet relève de la gageure. Mais visiblement, le public connaît Pentacle ou fait confiance à la programmation de L’Archipel : la salle est pleine. On apprécie d’ailleurs qu’elle ne succombe pas à la mode de la « claque post chorus » : ses applaudissements ne saluent que les moments de pure émotion, comme les « olé » à la corrida. D’ailleurs la culture hispanique est bien présente dans ce répertoire, qui tourne autour du Triana Moods [2], dernier disque du quintet sorti en 2007 après « un séjour marquant à Séville », et allusion au splendide Tijuana Moods de Mingus.

Sophia Domancich © Patrick Audoux

Quelques concerts et deux disques plus tard, voilà déjà près de dix ans que le quintet tourne. Pourtant, il garde toute sa fraîcheur… dans le prolongement d’un certain free français des années 70 [3] il est également influencé par Don Cherry, Eric Dolphy, Steve Lacy ou Mal Waldron - sans oublier, bien entendu, le poids des « monstres » [4]. Autrement dit, le quintet confectionne un mélange de free et de modernisme relevé d’épices ethniques ici essentiellement latines. Mais ce n’est pas tout : S. Domancich apporte aussi sa touche de pianiste classique [5] formée aux musiques improvisées avec des musiciens de rock progressif anglais (Hatfield & the North, John Greaves, Hugh Hopper…).

Michel Marre © Patrick Audoux

Le concert s’articule autour de six morceaux et d’un rappel. Un peu plus d’une heure trente de musique dense. Pas question de se laisser aller : il faut une concentration constante pour saisir les idées musicales qui fusent dans toute la cohérence du discours. Cinq pièces sont tirés de Triana Moods, « Vestiges » et « Raoul » venant du premier album de Pentacle. Puis c’est « Lonely Woman », qui semble investi d’une résonance particulière pour S. Domancich [6]. Les mélodies marient élégance (« Vestiges », « Funerals »…) et complexité (« Triana Moods », « Raoul »…), les morceaux sont émaillés de fréquentes cassures rythmiques (« Monkey Business »). On va et vient entre passages populaires et savants (« Triana Moods »), entre des moments dansants, dans la veine « marche », des développements qui flirtent avec la musique de chambre et des chorus qui présentent plus d’aspérités que sur les disques. Si, dans l’ensemble, l’architecture respecte les canons du jazz (thème – solo – thème), il n’y a pas de second rôle chez Pentacle : l’interaction entre musiciens est de mise, à travers les dialogues, les jeux de questions-réponses, les entrelacs de voix, les unissons…

Trait commun à tous : la maîtrise de la mise en place, de la cohérence harmonique et de l’équilibre mélodique. Au bugle ou à la trompette Jean-Luc Cappozzo, l’électron le plus free du groupe, incarne la joie de jouer. A l’euphonium [7], casquette Mao et plaisanterie facile, Michel Marre immisce ses lignes mélodiques dans la fête, bien épaulé par le son grave de son instrument. quant à Claude Tchamitchian, c’est le gardien du swing avec une walking puissante, une sonorité profonde et un groove musclé. Simon Goubert, avec son don d’ubiquité et son sens des nuances, sert à merveille le son du groupe. Quant au jeu de S. Domancich, qui n’est pas sans rappeler celui de Mal Waldron, il cimente la musique de Pentacle : accompagnatrice subtile, ses accords ou reprises mélodiques mettent en relief les traits des solistes ; soliste, elle est d’une élégante fermeté et ses chorus virevoltent autour des thèmes ou des idées que lancent ses compagnons.

Jean-Luc Cappozzo © Patrick Audoux

Le concert est d’autant plus savoureux qu’à la beauté de la musique s’ajoute la bonne humeur des musiciens. Visiblement heureux de jouer, ils plaisantent, comme en témoigne ce petit échange entre Marre et Cappozzo pour introduire « Raoul » :

  • Marre : Nous ce qu’on veut c’est satisfaire notre clientèle, essentiellement. Etre performants, bien sûr, toujours. L’excellence, bien sûr, aussi. La dorure à la feuille…
  • Cappozzo : Mais souples et diligentés…
  • Marre : Voilà, diligentés…
  • Cappozzo : Mais souples…
  • Marre : Mais souples… Alors en jouant « Raoul », c’est sûr qu’on réunit toutes ces fonctions… Il n’y a plus de raison de ne pas le jouer, n’est ce pas ? Ça a l’air simple comme ça mais…

Reflets d’une appropriation du jazz où cohabitent les divers courants du jazz et une approche européenne héritée de la musique du début du XXe, Domancich et son Pentacle proposent une sorte de « free cartésien » qui est au jazz français ce que le compas et l’équerre sont à la géométrie : indispensables !

par Bob Hatteau // Publié le 14 septembre 2009

[1C’est Pierre Dyens, fondateur du label de musique classique Saphir, qui a revitalisé ces deux salles de concerts, cinéma, débats…

[2Triana est un quartier de Séville au bord du Guadalquivir qui fut le berceau de matadores de légende : Juan Belmonte, Chicuelo ou Antonio Montes…

[3Développé par Martial Solal, Michel Portal, Henri Texier, Aldo Romano, François Tusques, Daniel Humair…

[4Duke Ellington (Money Jungle), Monk, Mingus… et Ornette Coleman (l’immortel « Lonely Woman »)

[5Premier prix de piano et de musique de chambre au Conservatoire National de Paris.

[6Il figure aussi sur You Don’t Know What Love Is, disque en duo avec Simon Goubert.

[7« Grand bugle muni de trois à cinq pistons (1843). Employé d’abord en remplacement du basson dans les musiques militaires russes et allemandes, c’est aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne qu’on le pratique le plus couramment » (Extrait de : Instruments de musique du monde entier, Albin Michel). Dictionnaire de la musique de Larousse : « Terme employé en Angleterre pour désigner le tuba ténor en si bémol de la famille des saxhorns. Au XIXe siècle, l’euphonium était un autre nom de l’ophicléide. Enfin, le terme peut désigner un jeu à anches libres, caractéristique de l’orgue romantique ». Un coup d’œil à « tuba ténor » pour compléter la description : « le tuba ténor qui n’est autre que le saxhorn baryton ». On rebondit sur « saxhorn baryton » : « Contrairement aux autres cuivres, qui se sont passés de pistons pendant des siècles, le saxhorn (du nom du facteur Adolphe Sax et de « horn » qui signifie « cor ») est né de l’invention du cor à pistons. Il apparut aussitôt que ce tuyau pouvait s’adapter à des formes nouvelles du tuyau sonore, et cette recherche aboutit en 1835 au premier tuba, rapidement adopté dans toute l’Europe en version basse et baryton. Les contrebasses et basses conservent en France le nom de tuba. Les autres saxhorns rendent de grands services dans les fanfares et harmonies militaires ou civiles. »