Chronique

Ceccarelli - Goualch - Imbert

Porgy & Bess

André Ceccarelli (dms), Pierre-Alain Goualch (p, Fender Rhodes), Diego Imbert (b) + David Linx (voc)

L’histoire du jazz regorge d’adaptations du répertoire de la musique populaire et de comédies musicales. C’est presque un mouvement naturel qui conduit les musicien.ne.s à remodeler des compositions pensées autrement pour les faire renaître sous un jour qui est le leur, celui du groove et de la pulsation. En disant cela, on pense instantanément à John Coltrane et sa version de « My Favorite Things », si personnelle qu’on finissait parfois par croire qu’il en était le compositeur… Autant dire que s’attaquer à Porgy & Bess, œuvre emblématique de George Gershwin s’il en est (qui ne connaît pas au moins « Summertime » ?), fleuron de la musique américaine déjà revisité par quelques géants (Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, Miles Davis et Gil Evans pour n’en citer que quelques-uns) est un pari toujours risqué. Un pari que relève haut la main un trio non seulement aguerri, mais transporté par une évidente jubilation dès lors qu’il s’agit de se glisser dans les pas de ces géants. Sans aucune peur de leur part et surtout sans le moindre reproche de la nôtre !

Ces trois-là se connaissent bien, ne serait-ce que par le temps qu’ils ont déjà passé ensemble à faire vivre à leur façon la chanson française, qu’il s’agisse de celle de Serge Gainsbourg ou celle de Claude Nougaro, parfois avec l’aide d’un quatrième larron, David Linx, qui vient faire un petit tour par ici, le temps d’écrire et de chanter les paroles d’une chanson originale, « Can I Get An Amen ? ». André Ceccarelli, Pierre-Alain Goualch et Diego Imbert, une irréfutable tierce scellée par une amitié de longue date : le batteur – il est une histoire du jazz français à lui tout seul – et le pianiste ont multiplié les collaborations depuis vingt ans (en commençant par Exploring The Music Of Serge Gainsbourg en 2001) ; Goualch est quasiment inséparable du contrebassiste depuis qu’il a posé ses valises du côté de la Music Academy International de Nancy (on ne compte plus leurs collaborations, en particulier celles avec leur complice Franck Agulhon) ; tous trois se retrouvent régulièrement, selon une horloge musicale déclenchée par Le Coq et la pendule en 2009.

Le plus beau compliment qu’on puisse faire à ces trois musiciens serait peut-être de leur dire que, très vite, on en vient à ne plus penser à l’original. Bien sûr, on reconnaît les mélodies, on peut aussi se souvenir de l’histoire de ce mendiant (Porgy) voulant sauver celle qu’il aime (Bess) des griffes de son compagnon… Mais en réalité, ce sont la dimension fusionnelle et la verve mélodique du trio qui impressionnent et emportent l’adhésion. Une rythmique en état de grâce, totalement épanouie : les rondeurs gourmandes et fermes de la contrebasse, en connexion avec le frémissement joyeux de la batterie, font merveille. Au piano comme au Fender Rhodes, Pierre-Alain Goualch fait montre de sa sensibilité harmonique et de la fluidité de son phrasé, comme exposé en pleine lumière. Publié sur le label Trebim (anagramme du patronyme de son fondateur), Porgy & Bess est un deuxième très beau rendez-vous donné en quelques mois par Diego Imbert, après la réussite de l’émouvant Interplay en duo avec Alain Jean-Marie. Il y a beaucoup de plaisir dans cet air qu’il ne vous reste plus qu’à respirer à pleins poumons.