Chronique

Soft Works

Abracadabra In Osaka

Elton Dean (sax, kb), Allan Holdsworth (g), Hugh Hopper (elb), John Marshall (dms).

Label / Distribution : Moonjune

C’est à l’obstination de Leonardo Pavkovic, qui veille avec beaucoup de soin et de passion sur la destinée du label MoonJune Records et qui publia voici peu un Live At The Baked Potato dont il fut question dans ces colonnes, qu’on doit sans nul doute l’existence d’une énième mouture du groupe Soft Machine, toujours sur la brèche à l’heure où ces lignes sont écrites.
L’histoire du groupe, on le sait, est la source de mille débats parmi les spécialistes plus ou moins patentés. Il y a les puristes pour qui Soft Machine n’a de sens qu’au cours de ses premières années, en particulier celles durant lesquelles Robert Wyatt faisait partie du groupe (de 1967 à 1971). Et puis il y a les autres, qui pensent qu’on peut considérer Soft Machine comme une succession de phases au fil des époques, toutes couleurs stylistiques étant acceptables. Partons donc de cette idée pour nous retrouver au mois d’août 2003, lorsqu’une formation héritière, Soft Works, précédemment nommée Soft Ware avant de se rebaptiser Soft Machine Legacy, se produisit à Osaka. Quatre musiciens, tous passés à un moment ou à un autre, mais pas forcément en même temps, au sein de la matrice symbole de l’École de Canterbury, étaient alors à l’œuvre : Elton Dean, Hugh Hopper, John Marshall et Allan Holdsworth. Et qui n’avaient jusque-là à leur actif qu’un un seul album : Abracadabra. Fort logiquement, l’enregistrement qui voit le jour s’intitule Abracadabra In Osaka.

Il faut admettre que ce Soft Works-là, tout comme le Soft Machine actuel, n’a pas grand-chose à voir avec les petites folies dadaïstes des premières heures enfumées. Cette musique n’est pas de celles qu’on invente en fouillant dans les recoins les plus aventureux d’une imagination aux pouvoirs parfois stupéfiants. Loin de là : il s’agit d’un jazz-rock raisonné, qu’on peut juger un peu trop sage tout au long des quelque 110 minutes d’une performance sans faute, dont la mise en place et l’exécution sont le fait de musiciens de haut vol. De plus, on n’écoutera pas ce live sans une pointe de nostalgie en se rappelant qu’à l’exception de John Marshall, toujours bien vivant, les trois autres sont partis, laissant dans leur sillage les effluves d’une musique qui appartient désormais à l’histoire du jazz (et pas seulement). Il comblera en outre de bonheur tous les amoureux du jeu d’Allan Holdsworth dont la guitare est ici en première ligne et insuffle au groupe l’énergie qu’elle avait déjà déployée quelques années plus tôt dans l’album Bundles (1975). Pour cette seule raison, Abracadabra In Osaka mérite qu’on lui accorde un peu de temps.