Scènes

Puimichel, Haute-Provence et haut lieu du « jazz agricole »

Un « plan jazz » pareil, ça ne se rencontre que là, entre sauge et lavande, dans ce « trou » de Haute-Provence, ce zéro-quatre quasi invisible où se nichent de magnifiques et précieux villages comme Puimichel et ses 700 âmes.


Un « plan jazz » pareil, ça ne se rencontre que là, entre sauge et lavande, dans ce « trou » de Haute-Provence, ce zéro-quatre quasi invisible où se nichent de magnifiques et précieux villages comme Puimichel et ses 700 âmes.

Entre Digne et Forcalquier, pour situer, le « Jazz Agricole Day » apparaît ainsi comme un vrai produit de terroir. Pas de ces ersatz pour citadins goguenards, non, une vraie rencontre entre jazz et écouteurs locaux, rejoints par quelques régionaux. La deuxième édition a eu lieu en ce chaud samedi 30 juin 2012, confirmant la réussite du concept lancé l’année dernière. Rencontre entre jazz des villes et jazz des champs.

Concert-découverte vers les mondes du jazz.

Une histoire un peu improvisée, comme il se doit en jazz, et donc aussi beaucoup travaillée. Sans retracer toute la genèse, on trouve au départ et comme souvent, le coup de silex d’un agriculteur local reconverti dans l’animation culturelle. Un jour, entre les bêlements de ses cinq cents brebis et ses penchants musicaux, Bernard Yves a tranché net. Il crée l’association « Puimichel autrement », et vogue la galère vers des horizons de concerts variés, voire de variétés. Le tournant « jazz » se produit lors de la rencontre avec le saxophoniste Raphaël Imbert, enfant adoptif du pays, non seulement musicien accompli – pas au sens achevé… – mais aussi musicologue féru d’histoire autant que d’actualité, et bientôt directeur artistique de l’événement. Il arrive donc avec sa compagnie, Nine Spirit, tout imprégné de sa connaissance profonde du jazz et des Etats-Unis où il se rend régulièrement en tant que musicien, chercheur, pédagogue. C’est ainsi que s’opère, l’an dernier, l’improbable et pourtant bien réelle jonction Puimichel-New York, lorsque débarque – et joue – le Trio Gerald Cleaver (dm), William Parker (cb) & Craig Taborn (p), grands maîtres américains de l’improvisation, dont l’intitulé du programme – Farmers by nature vient carrément se lover dans celui du village provençal. Concert inoubliable dans la cour de l’école, deux grandes envolées cosmiques, « sous les étoiles exactement ». Auparavant, dans l’après-midi, Raphaël Imbert avait donné dans l’église une version de son Bach Coltrane avec André Rossi (cla), Pierre Fenichel (cb) et Jean-Luc Di Fraya (perc, voc).

Avec l’Invisible Ensemble, dans la nuit étoilée.

Cette année, c’est la liaison « Puimichel-Chicago » qui a été établie, par l’entremise de l’invité d’honneur, Famoudou Don Moye, batteur et percussionniste de l’Art Ensemble of Chicago (il vit désormais à Marseille). Mais il y avait aussi deux autres Américains : la chanteuse Sarah Quintana, de La Nouvelle-Orléans (sa famille est cajun, ce peuple francophone installé dans les bayous du delta du Mississippi depuis le XVIIIe siècle) et Paul Elwood, originaire du Kansas, à la fois compositeur de musique contemporaine, chanteur et maître du banjo à cinq cordes. Elwood joue comme pas deux de cet instrument trop souvent stéréotypé, marquant ainsi la tonalité du concert nocturne – ou plutôt les tonalités, tant il a ouvert l’éventail des possibles du jazz et « environs », n’hésitant pas à nous balader entre improvisation jazz, blues, folk, et même bluegrass, tandis que cette bande des huit de l’Invisible Ensemble s’éclatait littéralement et le public avec, ainsi emporté dans le plus beau des voyages en jazz possibles.

D’autres escales ont ponctué cette journée de « jazz agricole » : dans l’église avec « Sacred Songs, Hymns and sounds », autour de Sarah Quintana (voc), Alain Soler (dm), André Jaume (ts), Raphaël Imbert (sax) et Paul Elwood (bjo, voc) échangent leurs musiques sacrées respectives à travers des hymnes issus de la musique religieuse et populaire ; et sur une autre place du village se tient une sorte de fête musicale autour d’un jazz plus délibérément populaire, de Duke Ellington à Tony Murena, et même Albert Ayler…

Le charme de ce « Jazz Agricole Day » n’est pas sans rappeler celui des débuts de Jazz in Marciac qui a su marier le jazz, musique universelle, avec cette bastide du Gers jusqu’alors inconnue. En somme, l’alliance du global et du local. Tout un programme – pas seulement musical -, dans la mesure où, justement, il souligne la dimension anthropologique de la musique en général et du jazz en particulier, le jazz dont toute l’histoire reflète et rejoint celle de notre commune humanité. Entre le terrain de pétanque, l’église, la cour de l’école, la place du village et le repas pris en commun, Puimichel n’était rien moins que ce village planétaire, témoin de mariage entre continents – Afrique, Amériques, Europe –, point de liaison entre champs de coton et champs de lavande.

L’Invisible Ensemble  : Paul Elwood, bjo, voc ; Jean-Marc Montera, g ; Raphaël Imbert, saxos ; Simon Sieger, tb, cla ; Thomas Weirich, g ; Pierre Fenichel, cb ; Famoudou Don Moye, dm, perc.