Chronique

Flouxus

Kind of Blues

Quentin Ghomari (tp), Geoffroy Gesser (ts, bcl), Jean François Riffaud (g), André Pasquet (dms)

Label / Distribution : Gigantonium

Proche du collectif Coax et fort impliqué dans des orchestres qui proposent une lecture tout sauf conservatrice du patrimoine des musiques de jazz et improvisées, le multianchiste Geoffroy Gesser s’engage avec son quartet Flouxus dans la voie du blues. Mais un blues trafiqué, mâtiné, maquillé comme le serait une mobylette débridée, à l’instar de ce « Travelling Riverside Blues » où la guitare de Jean-François Riffaud fait parler un Sud fantasmé, où des créatures magiques surgiraient des marigots du Mississippi. Après avoir réglé leur compte aux alligators. Qu’on soit clair, ce morceau de Robert Johnson est la seule incursion dans le répertoire : le « Bribes Blues » qui fait référence à un autre orchestre de Gesser est une composition maison où tout est déconstruit en compagnie de la trompette de Quentin Ghomari, point d’accroche qui permet à Gesser de s’atteler aux tâches rythmiques à la clarinette basse. Tout en rupture.

Flouxus tient du road-trip vers l’inconnu et l’étrange. En tracteur, à la Lynch. Avec Riffaud, le guitariste d’Abacaxi et André Pasquet, le joyeux batteur des Agamemnonz, la route 66 se fait plus sinueuse mais ne perd rien de son potentiel cinématographique. Dans « Geoffroy Collage », le morceau qui révèle la direction que prend le quartet, on a affaire à une musique volontairement cubiste qui emprunte tout autant à Ornette Coleman qu’à des choix cartoonesques qui transportent la musique ailleurs sans la caricaturer. Ici, Pasquet est un magnifique régulateur d’ambiances, des plus heurtées avec une guitare contondante aux plus erratiques, lorsque c’est la trompette qui prend le dessus. La batterie est toujours là sans être immuable, gardienne de la cohérence davantage que du temps.

Cela se poursuit d’ailleurs dans « Yeck », puisque les morceaux sont courts comme autant de saynètes. Ici, Pasquet est la mèche longue d’une musique pétulante qui se retient et attend le moment propice, dans une montée en puissance collective des soufflants. Il y a une vraie tension dans cette inertie, comme l’élastique d’une fronde. Lorsque le mouvement part, dans la guitare d’abord, c’est une libération, une accélération de particules qui ne se lâche jamais vraiment : pour cela il faudra attendre « Bicylindre », sorte de fusion improbable entre Ornette et la Surf Music. Flouxus est une musique faite de mouvements irraisonnés décidés par des musiciens à la précision redoutable. Le cocktail est on ne peut plus enivrant.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 février 2022
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