Chronique

Régis Huby, Yann Apperry, Maria Laura Baccarini

All Around

Régis Huby (comp, dir, vl, evl), Yann Apperry (livret), Maria Laura Baccarini (voc), S. Balasse (cello), J.-M. Larché (s), C. Delaunay (cl), R. Pinsart (bcl), O. Benoît (g), B. Moussay (p), S. Thévenard (p, 4), C. Tchamitchian (b), G. Séguron (b), Ch. Marguet (dr)

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

La collaboration entre le violoniste Régis Huby et la chanteuse italienne Maria Laura Baccarini n’est pas nouvelle puisqu’on on a déjà pu découvrir avec Furrow - A Cole Porter Tribute, le spectacle et le mini-CD, une musique aux arrangements très travaillés qui regardait autant du côté du jazz concertant que des compositeurs du XXè tels Gershwin, Ives et surtout Bernstein - que l’on retrouve également ici, par petites touches.

C’est avec la même équipe (dix musiciens, dont de grands improvisateurs comme Claude Tchamitchian à la contrebasse ou Benjamin Moussay au piano), constituée autour de la Nuit américaine montée par Lambert Wilson que Régis Huby signe All Around, un projet ambitieux à la jonction de plusieurs influences et qui échappe allègrement à toute forme d’étiquetage. Il transporte ici sa musique dans une fable naturaliste de l’écrivain Yann Apperry [1] qui, breton comme lui, puise dans le folklore celte pour narrer un conte en anglais qui esquisse en filigrane et en neuf actes une vision ésotérique du réchauffement climatique : la forêt s’égare et s’éloigne des hommes pour se rapprocher de ses habitants éternels, les oiseaux, ou supposés tels, les lutins. C’est ainsi que des morceaux comme « Amnesia » ou, dans une moindre mesure, « In The Deep » prennent des atours de gavottes aux arrangements ourlés. Ce travail sur le folklore comme matériel d’une écriture qui le transcende fait immanquablement songer à Berio et ses Folk Songs ou à Aaron Copland, auquel Huby fait d’ailleurs allusion.

Mais ces fausses pistes subtiles laissent aussi une large place à des formats pops élégants et à des rythmiques luxueuses portées par Christophe Marguet (batterie) qui, à l’instar de Tchamitchian à l’archet, s’offre des échappées belles discrètes mais d’une grande habileté, dans une masse harmonique en perpétuelle révolution. Comme au sein du Circum Grand Orchestra dont il est un des artisans, le jeu du guitariste Olivier Benoît, appuyé par le contrebassiste Guillaume Séguron, progresse par boucles structurantes (on pense à Steve Reich) ; celles-ci peuvent se fissurer à tout instant - le chorus de « All Around » - dans une envolée qui porte la voix de Maria Laura Baccarini, splendide de bout en bout.

Ce canevas est enluminé par le remarquable travail des soufflants. Catherine Delaunay à la clarinette, Roland Pinsard à sa cousine basse et le fidèle Jean-Marc Larché aux saxophones forment un contre-chant au violon omniprésent et au violoncelle bâtisseur de Sabine Balasse. Cette direction ambitieuse s’expose en longueur dès la première pièce, « Into The Forest » où l’entremêlement des timbres texture chaleureusement les strates profondes d’une musique dense où chacun trouve son espace dans le bouillonnement collectif. Conçu comme une œuvre lyrique, All Around « tourne » littéralement autour de la voix souple, tantôt suave, tantôt chargée d’orages, tantôt mutine, tantôt inquiétante de M.-L. Baccarini. Cette comédienne/chanteuse constamment juste et inspirée rehausse la poésie subtile du texte d’Apperry. En quelques années, elle s’est imposée parmi les voix les plus intéressantes et les plus malléables d’aujourd’hui, susceptible de s’insérer dans tous les univers (elle succède notamment à Jeanne Added dans le « Poète, vos Papiers ! » d’Yves Rousseau).

Ce conte initiatique est symptomatique d’une tendance, après Room Service de Claudia Solal et Snakes and Ladders de Sophia Domancich, à allier musiques raffinées et poésie onirique, avec la volonté fière et intransigeante de ne pas se laisser enfermer dans un style. Au vu du résultat, on ne peut que s’en réjouir.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 janvier 2011

[1Notamment lauréat du prix Médicis en 2000 pour Diabolicus in musica.