Chronique

Robbe Gloaguen 4tet +International Free Dance Music Orch.

Gardez votre sang froid

Tanguy Le Doré (b), Fabien Robbe (p), Jérôme Gloaguen (dms), Eric Leroux (as, ts)

Label / Distribution : Mazeto Square

C’est un objet bien étonnant que ce Gardez votre sang froid du Robbe Gloaguen Quartet. Mais n’est-ce pas un plaisir que d’être étonné ?

Et qu’attendre d’un pianiste comme Fabien Robbe qui passe allègrement de la musique traditionnelle à l’électricité alcaline de Anima Animus avec son acolyte Jérôme Gloaguen, batteur de son état et Julien Palomo, agitateur improvisé ? Sinon d’être étonné ? On avait déjà entendu Robbe dans Da bep lec’h, un solo très marqué par François Tusques, chez Improvising Being, label tusquien s’il en est un. On n’est guère étonné dès lors de découvrir le Robbe-Gloaguen Quartet, avec le remarquable Eric Leroux au saxophone, donner au « Blues du Moulin » de nouvelles lettres de noblesse dans un registre ouvert et très contemporain. L’étonnement vient d’ailleurs. Du disque, ou plutôt de ces disques, puisqu’à l’enregistrement du quartet s’ajoute une captation de l’International Free Dance Music Orchestra (IFDMO) à Déjazet en 1984. Du Tusques pur sucre après un hommage. Deux salles, deux ambiances, mais plus d’un dénominateur commun.

François Tusques, le père de Free Jazz et des Piano Dazibao, le compagnon de route de Colette Magny (Répression) et de Michel Marre (Dansons avec les travailleurs immigrés)… Une légende crépusculaire, une musique joyeuse, festive, ouverte au monde et diablement raffinée. Une définition d’un jazz européen qui a su rompre avec la grammaire étasunienne sans pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est ainsi que le poétique « Une fleur entre les pavés » éclot avec un charme un peu rebelle dans un joli dialogue entre le saxophone et le piano. Les titres de Tusques sont drôles et imagés, et le quartet nous rappelle qu’ils sont fort structurés. Rythmiquement, entre un Jérôme Gloaguen avare de gestes et la rigueur de la contrebasse de Tanguy Le Doré, rien ne dépasse sauf quand c’est nécessaire. Chaque morceau est une histoire, un petit film qui ménage suspense et bousculade. « Bass Bal », avec la main gauche appuyée de Robbe qui chahute la contrebasse, en est le lumineux exemple. Tout est à la fois simple et plein de trouvailles explosives qui s’inspirent d’un blues efflanqué et d’un lyrisme classique qui surgit sans crier gare.

Puis, comme pour documenter l’imprévisible, on passe à ce live de l’IFDMO qui pèse de ses 36 ans et de la fougue de ses membres (Pablo Cueco, Mirtha Pozzi, Sylvain Kassap, Carlos Andreù ou Tanguy Le Doré pour faire le lien entre les deux galettes) pour donner une lecture in-situ à l’hommage. L’air de rien, cette archive est une sacrée nouvelle, car les enregistrements de l’IFDMO ne sont pas nombreux. On y entend vraiment ce qu’était cet orchestre joyeux et gourmand de musiques traditionnelles, et sa capacité à ordonnancer l’instant dans de longues suites mouvantes et sautillantes. Évidemment, il y a parfois des couleurs ou des gimmicks qui trahissent l’époque, mais ce n’est pas sans apporter un charme supplémentaire. Dans « A propos de Carmen en Chine », qui s’ouvre sur le souffle traînant d’une clarinette soutenue par le piano, il y a comme un Gershwin qui aurait cassé sa boussole pour s’égarer en Afrique ; on n’imagine sans doute pas à quel point cet orchestre a influencé d’autres grands formats en Europe, chez Mike Westbrook comme chez Matthias Ruëgg. En tout cas, on ne l’imaginait pas, dans la France de 2020, avant d’entendre ce doux rappel, si salutaire.