Portrait

Peter Bruun ne compte pas pour des pruunes.

Portrait frappé d’un batteur danois.


Peter Bruun, photo Laurent Poiget

Lors d’un dossier consacré à la scène danoise, il est difficile de passer à côté du batteur Peter Bruun. Parce que ce musicien est un des activistes du label ILK Music et parce qu’il est une des personnalités les plus transfrontalières du vieux continent au vu de ses collaborations diverses et de son goût pour les univers diamétralement opposés.

On doit à Marc Ducret d’avoir donné une visibilité hexagonale (et au-delà) à Peter Bruun, batteur danois, né en 1979 à Copenhague. En 2011, il lui demande en effet d’assurer la batterie dès l’ouverture de sa série Tower paru sur Ayler Records. Au côté de son compatriote Kasper Tranbger, à la trompette (et qui se retrouvera de nombreuses fois sur son chemin), Fred Gastard au saxophone basse et Matthias Mahler au trombone, le batteur déploie une énergie foisonnante pour cette introduction rageuse inspirée par le roman de Nabokov Ada ou l’ardeur. Cinq disques plus tard, pour conclure cette même série, Bruun se retrouve, cette fois, au côté de Tom Rainey pour le grand final de Tower-Bridge (toujours chez Ayler) réunissant douze musiciens. Pour mettre en mouvement les constructions alambiquées du guitariste, le batteur et ses partenaires développent un son à la fois frontal et garant d’une précision redoutable dans les articulations des structures. Dès lors, au vu d’un bagage aussi complet, il était intéressant de suivre le parcours de cette personnalité.

Pourtant, à y regarder de plus près, lorsque Ducret embauche Bruun, rencontré lors de son exil au Danemark, le batteur a déjà quelques accointances avec la France. En 2010, il participe au disque Slippery Lumps du quintet Contrabande (deux disques parus chez Rude Awakening). Ce quintet rugueux dans lequel on entend Kristoffer Rosing-Schow aux saxophones, Aurélien Besnard à la clarinette, Julien Desprez à la guitare électrique, Petter Eldh à la contrebasse, oscille déjà entre une écriture contemporaine, notamment dans le doublé des soufflants, et une recherche de textures tendues et électriques. Loin de se contenter de tenir sagement la rythmique, Bruun, par sa profusion polyrythmique, apporte une indispensable vitalité.

Deux ans plus tard, c’est auprès de Richard Andersson qu’on le retrouve. Le contrebassiste le prend dans un quartet 100% danois (avec Kasper Tranberg, encore, et Jesper Zeuthen à l’alto). Udu récidive avec même line-up en 2016 avec Itu. Sans instrument harmonique, le propos est forcément cuivré, éclatant. Les thèmes généreux sont les supports d’interventions solistes enthousiastes soutenues par une basse/batterie jamais prise à défaut. Les musiciens chantent, s’emportent, flirtent avec le free. Un groupe à voir sur scène assurément.

Peter Bruun est de l’aventure Out of the Blue du clarinettiste américain Marc Bernstein (avec le bassiste électrique Nils Davidsen). Il y côtoie une nouvelle fois Marc Ducret qui est, selon les dires du leader, l’élément déclencheur de ce quartet reprenant pour l’occasion le titre News From The Front du guitariste. Moins d’électricité que sur les précédentes collaborations de Bruun, comme son titre l’indique, la musique est posée, les colorations travaillées avec soin pour des climats doux qui n’empêchent pas quelques embrasements ponctuels et bienvenus.

Car si Bruun est friand des formations aux esthétiques ouvertes voire libertaires, il l’est tout autant des approches policées et équilibrées. Sa collaboration avec le pianiste Django Bates est de cet ordre. Avec son trio Belovèd, l’Anglais affirme un retour à des atmosphères ouatées, méticuleuses dans leur déroulé, loin des exploits fantasques qu’il développait durant les années 90. Ici, l’art du piano à trois gouverne, et les deux personnalités qui accompagnent le Britannique - Petter Eldh est à la basse - l’entendent aussi de cette oreille. Mélodies à l’ancienne et son feutré permettent au batteur de faire valoir un travail en délicatesse sur les fûts de son instrument. Quatre disques en témoignent depuis 2009 dont The Study of Touch chez ECM en 2017.

2015 ensuite. Dans une ambiance totalement différente mais toujours en trio, il travaille, depuis la fin des années 10, avec le tromboniste suisse Samuel Blaser et, une nouvelle fois (et certainement pas la dernière), avec Marc Ducret. Les trois musiciens privilégient l’interaction. Il n’y a d’ailleurs pas de leader à proprement parler puisque seule compte la composition qu’ils vont mener aussi loin que possible. Avec un son sec, nerveux et qui claque en permanence, la musique circule entre les trois entités. Trois disques sont parus (Taklos Zürich 2017, chez Hat Hut et ABC, volumes 1 & 2, accessibles sur le bandcamp, sortis en 2020, ils sont enregistrés en 2016.

Peter Bruun, enfin, ne se contente pas d’apporter son savoir-faire à différents projets. Il est également à la manœuvre de quelques formations. Il s’occupe d’un autre trio avec le pianiste Søren Kjærgaard et le bassiste Jonas Westergaard (entendu dernièrement avec Christopher Dell et Christian Lillinger), d’ un duo au côté de son vieux complice Petter Eldh (qui n’a pas encore donné lieu à un disque mais dont on peut entendre un extrait sur le site du batteur et dans lequel officie Tim Berne).

Surtout, puisque ce quartet a donné lieu à deux enregistrements et qu’il est une synthèse du travail de Bruun, All Too Humans. Marc Ducret, Kasper Transberg, Simon Toldam nous invitent à un voyage hybride et féérique (dans le sens de la fée électricité). Paysage surréaliste, mobilité des intentions, Vernacular Avant-Garde est iconoclaste et clairement hors des marges. Sortie chez Ayler Records en 2018 et autoproduite pour le second volet, cette formation est un juste témoignage de ce que souhaite faire Bruun dès lors qu’il est aux manettes. Une imagination aussi fertile adossée à un parcours pareil clôt un début de siècle bien rempli. Il ne serait pas surprenant que les années à venir nous réservent d’autres surprises.