Satoko Fujii Tokyo Trio
Jet Black
Satoko Fujii (p), Takashi Sugawa (b), Ittetsu Takemura (d)
Label / Distribution : Libra Records
Habituée à nommer ses orchestres en fonction de leur centre géographique, de Berlin à New York, la pianiste japonaise Satoko Fujii a ramené son imposante discographie dans la mère patrie, le temps d’un trio. L’exercice n’est pas neuf : on se souvient d’un sublime Orchestra East avec son Orchestra Tokyo, mais aussi d’un nombre conséquent de déclinaisons, de Kobe à Nagoya.
Ici, la formation est plus ramassée et familière, avec le batteur Ittetsu Takemura et le contrebassiste Takashi Sugawa avec qui elle anime par ailleurs le quartet Kira Kira. On apprécie particulièrement le jeu sec et musical de ce dernier dans « Gentle Slope », où il avance avec souplesse dans un jeu de batterie tortueux. Lorsque la pianiste les rejoint, c’est pour ponctuer avec autorité un dialogue fait de brisures. Chaque phrase de Fujii est comme un jet intermittent, se saisissant d’une tournerie qu’elle emmène jusqu’au cluster, dans une euphorie de chaos.
Déconstruire le trio canonique, voilà ce qui semble être le mot d’ordre de ce Jet Black nerveux. Avec un triumvirat piano/basse/batterie, offrir de la nouveauté est une gageure. C’est pourtant ce que propose Satoko Fujii à ses convives qui se lancent à corps perdu dans des tirades solistes qui viennent heurter les autres musiciens. Comme pour se donner de l’élan. C’est ainsi que « From Sometime » débute sur un monologue de Takemura sur les cymbales, du sifflement à l’effleurement, avant de laisser la place à un piano doux qui monte inexorablement, comme une vague qui trouve son point de rupture dans un temps grossissant. C’est aussi cette impression de défocalisation qui est à l’œuvre dans « Along The Way », où le croisement de chaque prise de parole du trio souligne une lecture cubiste pleine de fougue.
On a coutume de qualifier Satoko Fujii de musicienne proche des éléments. C’est l’évidence avec le quartet Kase ou en duo avec Taiko Saito. Avec ce Tokyo Trio, la pianiste a davantage le rôle de l’orage, imprévisible et virulent, remuant la terre comme elle fouraille dans les tripes de son instrument. « Jet Black » parvient même à instiller de la douceur dans cette approche nerveuse et astringente, donnant au propos de la pianiste une mesure plus concertante qui sied à merveille à cette vision très vive du trio de jazz.