Chronique

Satoko Fujii

Hazuki

Satoko Fujii (p)

Label / Distribution : Libra Records

Que fait un.e musicien.ne aux premiers temps d’un confinement ? Depuis un an, la chose est documentée, de Susana Santos Silva à Brad Mehldau, et elle sonde les musiciens jusque dans leur intimité, leurs doutes, leur essence. C’est ce bien précieux que nous lègue Satoko Fujii dans son solo Hazuki, qu’elle évoque dans sa récente interview. Seule à son piano, chez elle, non loin de Kobe, à combiner les éléments. Les sentiments se mélangent, entre langueur et inquiétude, temps suspendu et impatience. Pianiste amoureuse des éléments, du vent et de la terre, Fujii interroge l’impalpable dans les premiers instants de « Invisible » qui ouvre Hazuki : quelques cordes effleurées en leur cœur, étouffées d’objets et de main. Un ostinato léger d’abord, puis insistant qui est comme une habitude qui essaie d’ordonner un chaos lointain. Quelques dissonances, un orage qui rugit main gauche mais paraît étouffé. Un régal d’images propice au voyage. Intérieur, puisque nous sommes confinés.

Parfois, la rage gagne. Elle est contenue, elle s’amuse d’elle-même comme dans ce « Beginning » où une phrase se construit, se gonfle et s’accélère, monte dans les tours et s’étourdit dans les coups de boutoir des basses avant de se transformer en danse légère. Un instant de gaîté qui s’écarte pour laisser place à la nostalgie évidente qu’évoque « Ernesto », mélange de tourbillons et de brises légères. Des instants contrastés mais jamais heurtés, des giboulées soudaines, comme un souffle vivant dans un monde qui se teinte d’absurde. Le souvenir d’un ami, sans doute, et puis le manque ; une pulsion de vie qui répond à nos propres angoisses et illustrent parfaitement ces moments si étranges.

Hazuki, enregistré en mars 2020 mais portant le nom traditionnel de l’équivalent du mois d’août dans le calendrier japonais, celui où tombent les feuilles, celui d’un long automne à venir, est comme un petit carnet de notes. Parfois la pianiste qui se livre toute entière offre des instants de poésie pure, comme cet « Hoffen » qui pourrait être un morceau de Futari où le vibraphone a laissé place au silence, à l’absence. Parfois également, Satoko Fujii joue avec le sujet, le sonde davantage qu’elle s’en amuse, à l’image de ce formidable « cluster » qui a un vrai double-sens au piano, et qu’elle transforme comme un son qui enfle, exponentiel, avant de laisser place à un écho mat et puissant. C’est un joli moment que nous passons avec Satoko, confinée au piano, inondée de sentiments contraires que seule une artiste telle qu’elle peut évoquer avec finesse et détachement.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 mars 2021
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