Ōtomo Yoshihide / Satoko Fujii
Perpetual Motion
Satoko Fujii (p), Ōtomo Yoshihide (g)
Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra
Tout commence dans un son étouffé de clavier, qui rebondit sur le bois de l’instrument de Satoko Fujii. On pense presque immédiatement à l’entrée en scène d’acteurs de kabuki, le théâtre populaire japonais. Il laisse place au son minéral de la guitare d’Ōtomo Yoshihide qui conserve cette retenue, jusqu’au feulement de l’électricité qui va impulser le mouvement. C’est peut-être le seul élément japonisant habitant Perpetual Motion, mais il infuse tout ce mythique album. À moins bien sûr que le chaos qui monte, cette force des éléments qui saisit l’auditeur dans le premier des quatre actes (« Perpetual Motion I »), lentement, inexorablement, ne soit définitivement nippon. Toujours sur la brèche et le qui-vive, toujours serein malgré les rugissements alentour : c’est exactement ce que l’on ressent lorsque la main gauche de Fujii, puissante et solide, fait face aux grondements de la guitare.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, tant ces artistes japonais sont centraux dans la musique improvisée mondiale, c’est la première fois qu’il se rencontrent sur disque. Voici donc un double coup de maître : réunir sur disque deux musiciens qui ont fait du mouvement et des éléments leur crédo, et leur offrir la plus totale des libertés. Enregistré au début de l’année à Shinjuku, l’un des quartiers centraux de Tokyo, cette discussion prend différentes formes, mais suit le canevas assez similaire de la montée en puissance, pas éloigné d’ailleurs des démonstrations épiques et de la théâtralité. Ainsi dans « Perpetual Motion II », tout commence avec une certaine retenue, presque une forme de placidité dans le jeu de la guitare, à l’exception de quelques éclats cristallins qui accueillent un piano concertant ; c’est paradoxalement par le silence que vient l’orage, comme si Ōtomo Yoshihide rassemblait ses forces pour soudain faire parler la rocaille. Avant de laisser place à un piano qui, à défaut de saturer le son, sature l’espace.
Entre la faim dévorante de musique de Satoko Fujii (avec plus de cent disques à son actif) et l’aura d’ange noir de la radicalité d’Ōtomo Yoshihide, le courant passe tout de suite et ne subit aucune baisse de tension. La grande réussite de Perpetual Motion est de parvenir à le canaliser sans rien perdre de sa puissance et de le restituer brut, sans perte de relief et de détails d’une richesse incroyable. Voici un disque qui tutoie les sommets de la longue histoire du label Ayler Records. Un indispensable pour quiconque aime les musiques farouches.