Chronique

The Urge Trio

Live In Toledo

Christoph Erb (ts, bcl), Tomeka Reid (cello), Keefe Jackson (ts, bcl)

Label / Distribution : Veto Records

Avec Duope, enregistré en quartet, le multianchiste Christoph Erb semblait avoir trouvé un certain équilibre dans ses multiples rencontres entre Lucerne et Chicago, consignées dans la collection Exchange du label Veto Records. Mais cette stabilité doit être précaire pour créer du mouvement ; c’est sans doute ce qui a motivé la création de cet Urge Trio, composé de trois membres de Duope.

On se souvient que le quartet se distinguait par son attelage étrange et symétrique : deux clarinettes basses, deux violoncelles. Exit Fred Lonberg-Holm, voici l’édifice contraint de chercher un nouveau parallélisme. Tomeka Reid, la violoncelliste rescapée, comparse habituelle de Nicole Mitchell ou de Braxton, se retrouve au centre des débats, départageant les deux canaux annexés par les soufflants : à droite, Erb ; à gauche, Keefe Jackson. Chacun a rajouté à sa clarinette le saxophone ténor, comme pour mieux agrandir le spectre de l’amalgame des timbres. Ce live capté à Toledo n’a jamais vu le soleil d’Espagne. Car c’est dans la Tolède de l’Ohio que le trio s’épanche, ce qui n’empêche pas ces fines lames de jouer à fleuret moucheté. Le concert consiste en deux larges plages qui laissent le temps à Erb et Jackson de s’entrecroiser sans jamais se frotter, avec un sentiment d’espace qu’offre l’effet stéréophonique. Un espace comblé par l’archet de Reid, véritable trait d’union qui va de l’un à l’autre à force de grincements, de pincements ou de bois frappé du plat de la main.

« Upward, Behind the Onstreaming » est le résultat d’une alchimie particulière : les slaps de la clarinette du Suisse lui impriment une rythmique singulière, claudicante, pendant que de l’autre côté, les sifflements du ténor jouent à cache-cache avec le violoncelle. À l’occasion, les choses s’intervertissent. Elles s’exhalent et se répandent comme dans un espace marécageux qui s’organise en micro-société, du silence au chaos en passant par tous les tumultes, parfois infinitésimaux. Le second titre, « Manne du ciel », découle de cette même atmosphère, mais tend à l’unisson. The Urge Trio est un orchestre de chambre qui s’élancerait dans l’inconnu sans filet, à juste titre persuadé que l’intimité des musiciens est une armature suffisante pour les atterrissages en douceur. Son nom évoque l’urgence, mais aussi la pulsion. Elle tenaille ce disque qui permet à cette belle série Exchange de fêter sa dixième livraison. Aller à sa découverte devient de plus en plus impératif.