Chronique

Schubert / Oberg / Rogers / Sanders

Open Ends

Franck Paul Schubert (ss), Uwe Oberg (p), Paul Rogers (b), Mark Sanders (dms, perc)

Label / Distribution : Trouble in The East

Sur la pochette, un paysage de feuillus stylisé, qui ressemble étrangement à une oreille, vous accueille. Les oreilles sont très sollicitées dans cet album où le saxophoniste Franck Paul Schubert fait œuvre de toute sa raucité et sa virulence au saxophone soprano. Il est puissant, il est intenable, mais que serait-il, tout seul, à se cogner sur toutes les arêtes alentour s’il n’y avait ses compagnons pour se dresser et se le renvoyer comme une balle ? Dans le premier mouvement de cet album qui en compte deux, d’égale longueur (une demi-heure), alors qu’il s’époumone, la batterie de Mark Sanders et le piano de Uwe Oberg rivalisent de puissance. Pour le premier, Britannique habitué à croiser le fer avec Evan Parker, c’est de rafales qu’il s’agit. Pour le second, pianiste et styliste hors pair, il se plaît à sortir de ses gonds. Il le fait souvent, avec Schubert, et ça se traduit par des clusters [1] tonitruants et des ostinati puissants où la main gauche est d’une précision diabolique.

Mais ceci a besoin de liant, et c’est la contrebasse qui s’y colle, et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de Paul Rogers… L’Anglais a amené sa fameuse contrebasse à sept cordes, et c’est toute la physionomie de la rencontre qui s’en trouve chamboulée. A force de recours à l’archet, d’un apport mélodique indéniable, il parvient même à calmer les ardeurs du saxophoniste, qui soudainement prend le temps de souffler, voire se laisse submerger par le flot de la discussion entre piano et batterie, lui qui leur tenait tête quelques minutes auparavant. Il s’efface, même, laissant la prédominance à un piano extrêmement percussif et volontaire. C’est comme une nouvelle vague, moins violente mais plus inexorable. Submersive. Le jeu de Sanders évolue dans le même sens, et c’est une paire qui apparaît, imbriquée quoique savamment hétérogène. L’autre paire, c’est clairement la contrebasse et le soprano, très complémentaires dès que Rogers passe aux pizzicati.

Deux Anglais, deux Allemands, et autant de bénéfice pour les musiques improvisées européennes. Le double set de Open Ends est intense, joliment cogneur et en même temps fort coloriste. Le soprano est indomptable, mais depuis Three Stories About Rain, Sunlight And The Hidden Soil, où Rogers était déjà impliqué, on sait que c’est sa marque de fabrique. Le quartet ici présent est très équilibré et plein de ressources. C’est une belle sortie que nous propose le label berlinois Trouble in The East, à la rencontre d’artistes fougueux et chaleureux.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 juin 2020
P.-S. :

[1Des plus sympas que les « foyers » du COVID, paresseusement laissés dans un globish incertain…