Chronique

SighFire

Peter Corser (ts, cl, voc), Johan Dalgaard (kb), Hasse Poulsen (g, elb, voc) + Abdullah Miniawy (voc), André Minvielle (voc), Mounir Troudi (voc), Claudia Poulsen (voc), Sanseverino (voc).

Label / Distribution : Das Kapital Records

Ce qui est bien avec Hasse Poulsen, c’est qu’on ne sait jamais à l’avance où il a décidé de nous embarquer. La plupart du temps, c’est ailleurs et en effet, il y est. Celui qu’on a connu perturbateur chez Louis Sclavis du temps de Napoli’s Walls, membre du trio Das Kapital, est aussi un songwriter accompli comme il a pu le démontrer avec The Man They Call Ass. On l’a aussi retrouvé porteur de la poésie de Langston Hughes (The Langston Project), baroudeur en duo avec le batteur Fabien Duscombs (Free Folks), chanteur de rues aux côtés d’Hélène Labarrière (Busking), boxeur de sons avec Tom Rainey (Open Fist)… Bref, on ne risque pas l’ennui avec le guitariste danois.

Cette fois, et nous reprenons là une définition que Hasse Poulsen a bien voulu nous donner lui-même, il fourbit « un beau mélange de fusion fusionnel » avec SighFire, un trio créé en 2015 qui le voit entouré de son compatriote Johan Dalgaard aux claviers et de l’Anglais Peter Corser au saxophone et à la clarinette. Définir leur musique s’avère un exercice compliqué, parce que celle-ci brasse tant d’influences (jazz, pop, rock progressif, hip hop, chanson, world) et se pare de tant de formes qu’on en finirait par réciter un dictionnaire amoureux. Le trio puise aussi bien son inspiration dans la liberté et un minimalisme électrique aux motifs sériels (« Stop The Clock », « Greenwash ») que dans un folk song planant qui voit le guitariste endosser le costume de chanteur qu’on lui connaît depuis quelque temps (« Simple As This »), une musique de film imaginaire aux couleurs brumeuses (« Inner Future ») ou un slam désabusé à vocation écologique (« La Danse des espèces disparues »). Les claviers de Dalgaard sont hypnotiques et aériens, le saxophone de Peter Corser sait aussi rappeler ses origines jazz (« Neverlectrics »).

Surtout, la présence de voix vient étoffer la panoplie du groupe jusqu’à lui conférer une dimension encore plus internationale. L’hospitalité est d’ailleurs une habitude chez SighFire qui se produit régulièrement avec des invités. La chanson française pointe le bout de son nez avec Sanseverino et « La Ballade de Bébert Cellier », qu’on trouve à l’origine sur son disque Papillon. André Minvielle fait une brève apparition pour chanter une « Démocratie » aux accents poético-politiques. L’érotisme, aussi, se faufile avec la voix de Claudia Poulsen (« Be My Sextoy »). Surtout, les chants arabes du Tunisien Mounir Troudi et du poète slammeur égyptien Abdullah Miniawy ouvrent en grand la porte d’une world music de toute beauté (« Purple Feathers Al Selato Al Samadya » ou « Mounajat », par exemple).

Cette profusion (le disque dure plus de 70 minutes qui filent à la vitesse de l’éclair), cette diversité et ces énergies conjuguées sont à n’en pas douter la marque d’un grand moment de musique. SighFire n’a pas manqué son rendez-vous avec le disque. Ce dernier a fait l’objet d’un enregistrement long et attentif : le résultat est à la hauteur du travail entrepris.