Un dimanche à Coutances
Week-end Sous Les Pommiers, le condensé de festival a bien eu lieu.
Vincent Peirani Living Being II © Gérard Boisnel
Week-end Sous Les Pommiers : du 18 au 20 septembre 2020
Contre vents, grandes marées et virus, le jazz s’invite à Coutances le temps d’un week-end « comme un petit air de festival », celui qui n’a pas eu lieu en mai, avec les gestes barrières bien évidemment.
« À contexte exceptionnel, événement exceptionnel »
Ce week-end, c’est promis, va nous sortir du « syndrome de la cabane », comme l’appellent les psychiatres, si toutefois on l’avait développé.
« On a tenu dans la tempête, merci à tous ceux qui ont été à nos côtés. Pourquoi cette ténacité ? D’abord pour les musiciens. Et pour le public, pour le territoire, pour que la vie reprenne ! »
C’est par ces mots plein d’émotion que Denis Le Bas, directeur du festival Jazz sous les Pommiers, déclare ouvert le week-end après tant d’angoisses partagées avec son équipe.
Ce seront six concerts le vendredi, huit le samedi et six fanfares le dimanche dans cinq lieux : « Chantez, criez mais ne vous embrassez pas » lance Mr le maire.
TMC, Jacky Terrasson : 53
« Merci Coutances ! C’est l’un des seuls festivals qui a joué le jeu, qui a vraiment été pro musicien. »
Venu il y a 10 ans en solo pour son album Mirror, puis en quintet il y a trois ans, Jacky Terrasson, accompagné de son trio, acclame le festival et lance le premier concert.
Il interprète des titres de son dernier album 53 avec Lukmil Pérez à la batterie et Sylvain Romano à la contrebasse. En formation classique, piano/ basse/ batterie, sans l’être vraiment, il ajoute le Fender Rhodes pour une expression naturellement moderne, rapide, chaleureuse et parfois intime. Les pièces originales se « kaléidoscopent » aux hommages majestueux : à Ahmad Jamal avec « The Cars », à Keith Jarret avec « Kiss Me » et à Charlie Chaplin avec « Smile ». Le public reconnaît avec allégresse « La Marseillaise », « Purple Rain », « Caravan » ou encore le « Lacrimosa » de Mozart dont il transfigure la lecture, sans oublier les multiples citations que le pianiste glisse dans chaque morceau.
- Hasse Poulsen : Tom’s Wild Years © Gérard Boisnel
Salle Marcel Hélie, Abou Diarra
Sonia Jobarteh, joueuse de kora et chanteuse, est empêchée ; c’est une ambiance vibrionnante qui accueille Abou Diarra, chanteur malien et ambassadeur du n’goni avec son groupe Douko Band orchestra.
Il transporte le public dans son univers baigné de jazz, de blues et de musique mandingue ensorceleuse qu’il métisse. Koya est son 4e album d’où il extrait les morceaux dont « Né Nana » (Je suis béni).
TMC, Hasse Poulsen : Tom’s Wild Years
S’il devait y avoir un empereur, ce serait lui : Hasse Poulsen dans Tom’s Wild Years pour un hommage à Tom Waits en septet si bien incarné que l’annonceur demande au public d’accueillir Hasse Waits !
Nous allons être happés dans la troisième présentation de cette appropriation de Tom Waits — après celles aux RDV de l’Erdre et à l’Europa Jazz — dans un univers de pop, de blues et de ballades lyriques.
« Chaque phrase peut se retrouver dans des phrases d’autres auteurs. Elles sont nées de rencontres qu’illuminent nos vies ».
La salle est enivrée par le blues philosophique au fur et à mesure des morceaux et de sa voix qui s’épanouit dans une raucité de plus en plus profonde comme sur « I Want to Be Like You » et des morceaux comme « Monkey » où on retrouve Louis Armstrong.
Pour le rappel, le touchant « Before You Fall », chanté en solo, guitare sur le cœur en hommage à son défunt père, nous met sens dessus dessous.
Scène de l’Evêché, Play Own Play
Le quintet des régionaux POP, Play Own Play, dirigé par le saxophoniste Vincent Leyreloup, investit la scène du square de l’évêché. Normal, on est à Coutances.
Le public est engagé et transporté dans une ambiance feutrée, chanter en reprise Ti-ca-toum-tac / ta-coum-ta-coum au rythme de la batterie de Nesta avec un masque n’est pas chose aisée. On fait ce qu’on peut, ça ne fait rien, le cœur y est. Vincent Leyreloup déroule les morceaux de l’album à venir, YO, qui mêle jazz et musiques du Burkina Faso grâce aux flûtes peules d’Oua-Anou Diarra.
« L’instrument sur lequel il tape s’appelle un Tamani », c’est un petit tambour hypercussif. POP swingue dans des mondes hip-hop et groove au travers de rythmes variables, d’une batterie fougueuse et de morceaux comme « Amour » en langue elfique à laquelle Vincent Leyreloup s’initie.
Le piano de Gilles Coulombier invite à la tendresse avec « Hypnos », « ça vaut mieux que Thanatos d’où on n’est pas certain de revenir ». Le solo de contrebasse d’Hugues Letort nous parle d’après « Prazepam ». Après ?
Une valse à la flûte peule/contrebasse nous propulse vers le final « À cran » joué par la batterie nerveuse de Jean-Luc « Nesta » Mondélice.
À cran ? Non, le public est enchanté et mûr pour la suite.
Il n’y aura pas de pause à la buvette cette année, la bière de la baie devra garder le fût jusqu’à l’année prochaine.
- Paul Jarret & Jim Black Ghost Songs © Gérard Boisnel
TMC, Paul Jarret & Jim Black : Ghost Songs
Paul Jarret, 34 ans, en rêvait depuis l’âge de 16 ans, l’ADAMI l’a fait. Son projet : composer pour son drummer hero, le batteur américain Jim Black. Lauréat « talents ADAMI jazz 2019 », son projet est donc retenu.
L’univers est planant, le batteur Jim Black joue pieds nus. Le son palpable circule et s’évapore dans un souffle, un à un les instruments se taisent, le temps est suspendu, puis c’est reparti pour un rock énergique un peu grunge. Accompagnés de Jozef Dumoulin au Fender Rhodes et de Julien Pontvianne au saxophone ténor, Paul Jarret et Jim Black égrènent Ghost Songs.
L’expérience a rencontré la fougue, l’improvisation l’a emporté pour une belle rencontre et un rêve de gosse réalisé. Le CD est à venir, ce sera pour l’année prochaine.
Les Unelles, Compagnie « Ne dites pas non, vous avez souri » : Périph. Fluide
Il fallait choisir le bon moment pour assister à ce concert proposé quatre fois. Ne pas l’écouter n’importe comment.
Tout d’abord, après s’être hydroalcoolisé les mains et avoir ajusté son masque, le public est accueilli dans une antichambre où Simon Deslandes, le trompettiste, présente sa création et la manière de s’y installer.
« Vous serez assis autour et parmi une installation de tuyaux pour trompette tentaculaire ».
Une nouvelle planète sonore s’ouvre à nous, où Bastien Lambert orchestre la propagation et l’amplitude du son produit par la trompette.
Simon Deslandes murmure dans sa trompette, manipule les tuyaux reliés à des trompettes pour un effet déroutant, une expérience d’élévation spirituelle, une initiation.
Et puis, soudain, c’est le brouhaha, la tuyauterie s’affole, c’est l’heure de pointe sur le périphérique qui retrouve sa fluidité petit à petit.
Envoûtant !
Chapelle du CAD, NoSax NoClar
Ce week-end à Coutances le soleil brille. Les pommiers ne sont pas en fleurs mais celui du théâtre est chargé de fruits, c’est l’automne.
Qu’il est doux et agréable d’aller et venir de salle en théâtre en chapiteau en passant par les Unelles et là, en chapelle, celle du Centre Diocésain. Nous allons découvrir un duo de clarinettiste/ clarinettiste saxophoniste, Bastien Weeger et Julien Stella, qui se sont rencontrés un jour de grève des transports. Leur groupe Groove Catchers remporte le tremplin du festival de jazz de la défense en 2011, Julien Stella est champion de France de human beat-box.
- NoSax NoClar © Gérard Boisnel
C’est une exploration onirique qu’ils nous donnent à entendre, chargée d’influence : Irlande du sud, Balkans et Orient. Ce lieu, la chapelle, permet le déploiement de leur rencontre. Le berbère résonne dans le morceau « Sandman », joué à deux clarinettes : basse et alto. C’est avec « Khamsin » que nous sommes transportés avec ce vent du désert d’Egypte du nord jusqu’au Liban.
Une découverte sacrée ! Une sacrée découverte !
Salle Marcel Hélie, Vincent Peirani Living Being II : NightWalker
Il fait encore 23 degrés, une queue s’est formée devant la salle Marcel Hélie, le groupe a du retard, une grève de train consécutive à une agression en est la cause. Ce soir, il livrera des morceaux de son album Night Walker avec son quintet. Son orchestre de « musique de chambre rock », comme il le nomme à la manière de Frank Zappa, un de ses inspirateurs, et qui se compose d’Émile Parisien, son alter-égo au saxophone, Tony Paeleman aux claviers, Julien Herné à la basse et guitare électrique et Yoann Serra à la batterie, l’accompagne généreusement et en symbiose.
Avec délectation le public aura le plaisir d’entendre les morceaux comme « Bang Bang » (Sonny Bono), « Stairway to Heaven » (Led Zeppelin), « Cold Song » (Henry Purcell) sans oublier« Le Clown sauveur de la fête foraine », celui qui fait peur aux enfants. Dans cette orchestration, aucun musicien ne prend le dessus, l’accord et l’entente sont parfaits pour le plus grand plaisir des auditeurs qui se laissent bercer et séduire de cette harmonie jazz-rock.
Final avec « Enzo », inspiré par son fils, une merveilleuse ballade qu’il nous offre en rappel malgré les douleurs d’un lumbago contracté juste avant le concert.
Scène de l’Évêché, Trans Kabar
Et pourtant, on ne pourra pas clubber, c’est interdit de se lever. On se trémoussera sur nos chaises pour la finale endiablée de ce weekend pas comme les autres. Comme à la Réunion, le maloya créole, au son du kayamb chargé de bois et de graines, secoue et électrise la détente des bénévoles que nous remercions chaleureusement.