Chronique

I Am Three

In Other Words

Silke Eberhard (as, perc), Nicolas Neuser (tp), Christian Marien (d).

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Rangé sous l’égide de Mingus, à qui le trio dédiait un précédent album, I Am Three n’avait pas fait parler de lui depuis huit ans. Ce n’est pas le cas de ses musiciens, à commencer par la saxophoniste Silke Eberhard, qui anime la scène européenne depuis de nombreuses années. Plutôt portée ces derniers temps à l’élargissement des orchestres (voir son Potsa Lotsa devenu XXL), Eberhard n’a néanmoins jamais délaissé les petites formes, principalement en duo. Spécialiste reconnue d’Eric Dolphy, la saxophoniste a une approche de la mémoire et de la tradition comme une sorte de transcendance nécessaire : c’est ce qui fait de In Other Words, le nouvel album de I Am Three, un objet important, et qu’on est heureux de retrouver, aux côtés de la musicienne volcanique, le trompettiste Nicolas Neuser et le batteur Christian Marien. Après la construction vient la nécessaire déconstruction ; de la lecture des standards mingussiens vient l’usage de son langage, à travers des compositions des trois artistes.

« Birthday Song » en est une très belle illustration. Dans le râle nerveux de la trompette, rocailleux en diable, se prépare une rythmique complexe et nerveuse ; les deux soufflants viennent d’abord à l’unisson, puis se chamaillent comme s’il s’agissait d’attirer à soi une étoffe trop petite. Sur cette composition d’Eberhard, la musique du trio est tendue, en constant mouvement, ne laissant guère de place au silence sans jamais chercher la surenchère, même lorsque Marien fait parler la foudre. On est proche de l’esprit Mingus, une forme brute et douce à la fois ; l’étreinte d’un ours… Un climat que l’on retrouve sous des formes plus soyeuses, moins heurtées, avec « Kellerballade », où trompette comme alto devisent plus sereinement sur cette composition de Marien.

Les morceaux courts de cet album fidèle à Leo Records sont un excellent panorama des potentiels du trio. Si « Pleitereiher » sait regarder du côté d’Ornette Coleman dans les explosions soudaines, il n’y a pas à proprement parler de révérence à quoi que ce soit d’autre qu’à une musique libre et chahuteuse. Dans ce domaine, la trompette de Neuser est un atout de poids par sa capacité à accélérer et à durcir le ton (« Patterson Blues ») et à tisser une vive passementerie avec Eberhard. Une riche rencontre.

par Franpi Barriaux // Publié le 23 juin 2024
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