Sonny Simmons, voyageur de l’éclipse
Sonny Simmons, une trajectoire peu commune, une réévaluation nécessaire.
Sonny Simmons © Framboise Esteban
Des destins fracassés, des damnés, le jazz en a connu plusieurs. Et quand certains d’entre eux reviennent à la surface, on découvre tout étonné quels immenses artistes ils étaient… et demeurent.
Henry Grimes fut l’un d’entre eux, de même Giuseppi Logan. Ils ont fait l’actualité, parce qu’outre leur talent, ils ont eu la malencontreuse idée de se passer de nous cette année.
Ce n’est pas le cas de Sonny Simmons ; il a survécu à une traîtreuse attaque du virus vedette de 2020.
Petit retour arrière.
En 1949, il voit Charlie Parker à Oakland alors qu’il a 16 ans ; il est totalement séduit. Avec son ami, le flûtiste et saxophoniste Prince Lasha, il forme différents groupes qui s’inscrivent dans cette mouvance.
Mais en 1958 - 59, deux albums d’Ornette Coleman publiés chez Contemporary, « Something Else » et « Tomorrow Is the Question », changent la donne. Il y eut des échanges entre eux, facilités par l’amitié entre Prince et Ornette. La connexion est alors faite.
En 63, Prince et Sonny sortent l’album « The Cry », avec à la contrebasse un certain Gary Peacock. En avril de la même année il rejoint la formation de Sonny Rollins, avec Henry Grimes et Charles Moffett. En mai-juin, Sonny Rollins décroche un contrat d’enregistrement chez RCA avec Don Cherry, Billy Higgins et donc Sonny Simmons, mais un sévère accrochage entre le leader et le studio fait capoter le projet. Les bandes sont supposées détruites… mais sait-on jamais. Il a tout de même enregistré un album en compagnie de Don Cherry, ainsi qu’en tant que membre du sextette d’Elvin Jones/ Jimmy Garrison. Par ailleurs, l’une de ses compositions, « Music Matador », intéresse Eric Dolphy : il la reprend pour l’un de ses albums.
En 64, Simmons intègre dans son groupe la trompettiste Barbara Donald, qui deviendra sa femme. Elle avait impressionné Lester Bowie (AEC). Notons qu’il a joué en club à Los Angeles avec John Coltrane (Barbara aussi)…
Désormais Sonny Simmons joue dans la cour des grands de la « New Thing », doté de figures tutélaires telles Coltrane, Dolphy, et bien sûr Ornette. Et il n’oublie pas Parker.
En tant que leader, l’un de ses albums majeurs n’est que son deuxième, « Staying On The Watch », qui paraît en 1966. Il nous permet d’apprécier, entre autre, le magnifique talent de Barbara Donald. Ils se retrouvent dans quatre autres albums, « Music From the Spheres »(66), « Manhattan Egos » (69), « Rumasuma » (69) et « Burning Spirits » (70) (dates d’enregistrement).
Sa carrière semblait devoir figurer parmi les plus brillantes… Et c’est l’éclipse. Elle durera vingt ans ! Pendant cette période, il a joué dans la rue, pour sa subsistance, mais il a enregistré des heures de musiques, qui ne sont pas perdues. Leur publication a commencé, en particulier sur CD-R avec le label « Hello World ».
Il semble que l’album qui marque son retour soit « Ancient Ritual » en trio avec Charles Moffett et son propre fils. « Jewel » en a surpris plus d’un ; c’est un album solo de 91. Il recommence d’ailleurs en 2003. Des années 90 jusqu’à 2014, un grand nombre d’enregistrements à succès, de rencontres, viennent ponctuer son retour. Difficile d’en faire un panorama. Lui-même considère que « The Traveller » est l’un de ses albums majeurs.
Il est venu pour la première fois la France en 94, pour les concerts au club La Villa, gravés par Arhoolie sur le double « Sonny Simmons Live In Paris ». Sa compagne de l’époque étant française, il venu s’établir avec elle en France de 1997 à 2001. C’est pendant ce long séjour que François Lunel a réalisé le documentaire « Together with Sonny Simmons », tourné en Allemagne, et que Sonny enregistre « Myxolydis » pour Gérard Terronès. Mais il faisait de fréquents voyages aux USA.
Parmi ses rencontres gravées, on peut signaler un enregistrement en duo avec Horace Tapscott (p) réalisé à Longwy en 95, qui renoue avec les standards. Il enregistre avec Brandon Evans et Anthony Braxton en 4tet (99), et ils se retrouvent, cette fois en 6tet pour un double album (2003).
En 2000, il constitue avec Michael Marcus « Cosmosamatics » qui fera plusieurs tournées en Europe et qui va publier neuf albums dont un enregistré en 2003 à la Dynamo de Pantin. Le cosmos, l’aventure spatiale… on retrouve cette fascination dans bien de ses compositions. Le rêve devenu réalité avec le premier Spoutnik.
Il retrouve Brandon Evans en 2001 pour « Tales for the Ancien East » et pour « A Tribute to Ustad Bismillah Khan » marqué par la transe et l’influence de la musique indienne, puis en 2002 pour un duo.
Cette exploration « psychédélique » sous influence orientale est soulignée par l’album « Nomadic » (avec Moksha Samnyasin, Thomas Bellier, Sébastien Bismuth et Michel Kristof) publié en 2014.
Enfin, avec Improvising Beings, il publie un enregistrement hors norme de huit CDs « Leaving Knowledge, Wisdom And Brillance / Chasing The Bird ? ».
Il souffrait de polyarthrite à son retour sur le devant de la scène. Mais en 2014, il subit un accident domestique qui a sectionné sa moelle épinière. Malgré les soins des chirurgiens, il ne va plus pouvoir utiliser ses doigts pour jouer. C’est la fin de sa carrière.
Depuis, la poussière du temps fait son œuvre et recouvre ces pages brillantes. Pourtant son actualité discographique demeure : des heures d’enregistrement sont encore disponibles pour publication, et sa notoriété, particulièrement en Europe, est importante, mais rien n’est simple. La Covid, dont il a été victime mais qu’il a surmonté, nous rappelle qu’il est grand temps de tourner notre regard vers lui et non à l’occasion d’un grand départ. Je crois qu’il en a besoin, pour résister.
C’est donc le temps de la réévaluation de son œuvre, et pour certains, de sa redécouverte.