Chronique

Soft Machine

Live At The Baked Potato

John Etheridge (g), Theo Travis (sax, fl, kb), Roy Babbington (elb), John Marshall (dms).

Label / Distribution : Moonjune

« Enfer et damnation ! », comme dirait l’autre. Ils ont osé, une fois encore… Y aurait-il du sacrilège dans l’air ? Après Hidden Details en 2018 – soit 37 ans après Land Of Cockayne, dernier enregistrement studio d’un groupe réduit alors à un duo variable – quatre musiciens anglais revendiquent le nom de Soft Machine. Sans même la précaution d’une appellation du genre Soft Machine Legacy comme ce fut le cas à compter des années 2000. Non, Soft Machine, tout court ! On entend déjà les cris d’orfraie des adorateurs de Third en 1970, double album unanimement considéré comme LE chef d’œuvre : « Jamais sans mon Wyatt ! », s’époumonent ceux-là même qui, citant dans le même souffle étranglé Mike Ratledge, Hugh Hopper ou Elton Dean, oublient parfois que cette formation matrice de l’École de Canterbury comptait aussi parmi ses membres originels un certain Kevin Ayers, voire un Daevid Allen. Comment donc cette quarte, illégitime à leurs oreilles, ose-t-elle avancer masquée derrière l’identité d’un tel géant de la musique anglaise ?

Cette opposition diamétrale ne manquera pas de se faire entendre une fois de plus à l’écoute de Live At The Baked Potato, enregistré en public à Los Angeles le 1er février 2019. Voilà qui ne fait pas l’ombre d’un doute. Pourtant, on aurait bien tort de faire la fine bouche. Car c’est une histoire qui continue, tout simplement. John Marshall (batterie) et Roy Babbington (basse) en sont les acteurs – parfois intermittents – depuis l’album 5 en 1971, John Etheridge (guitare) a succédé à Allan Holdsworth à compter de Softs (1976). Quant à Theo Travis (saxophone et claviers), ce « jeunot » a pris place au sein de Soft Machine Legacy en 2006, après la mort d’Elton Dean. Alors foin de toutes ces querelles, on sait qu’il n’est plus question de l’esprit dadaïste, voire pataphysicien, des premières heures et qu’après Seven en 1973, la machine molle a délivré un jazz-rock plus conventionnel certes, mais d’excellente facture. Et le plaisir est d’autant plus savoureux que la paire rythmique Marshall / Babbington semble en très bonne forme. Pour dire les choses de manière simple : Live At The Baked Potato, tout comme son prédécesseur également publié chez Moonjune grâce à la persévérance de Leonardo Pavkovic, s’inscrit dans la lignée du Soft Machine du milieu des années 70. À vous maintenant de savoir si cette trajectoire vous convient.

Côté répertoire, on puise dans le patrimoine des albums Third et 4 (« Kings And Queens », « Out-Bloody Rageous »), on convoque la période Bundles ou Softs (« Hazard Profile », « Tale Of Taliesin », « The Man Who Waved At Trains ») et pour le reste, on présente le dernier enfant Hidden Details. Tout cela fonctionne bien, assez tranquillement, mais avec chez les musiciens la conviction, plutôt émouvante il est vrai, des artisans amoureux du travail bien fait. Le groupe toutefois ne rechigne pas à sortir du cadre s’il le faut, histoire de s’évader vers des espaces un peu moins balisés (« Life On Bridges »). Soft Machine est devenu une sorte d’horloge à l’ancienne, précise et mélodique. C’est peut-être peu au regard des folies du passé, mais c’est beaucoup en nos temps trop souvent désincarnés. On entend l’histoire et elle ne manque pas d’âme. Et on veut bien une suite.