Chronique

Stanley Clarke, Biréli Lagrène, Jean-Luc Ponty

D - Stringz

Stanley Clarke (b), Biréli Lagrène (g), Jean-Luc Ponty (vln), Steve Shehan (perc)

Label / Distribution : Impulse !

D-Stringz est le premier album de trois artistes qui n’ont rien de nouveau sur la scène jazz ; ils l’ont même écumée, chacun depuis les années 1970, chacun avec un succès retentissant hors frontières, chacun ayant pour prédilection l’ajout, la fusion avec l’amplification électrique sur leurs cordes. Le violoniste Jean-Luc Ponty, le bassiste Stanley Clarke et le guitariste Biréli Lagrène semblaient ne plus rien avoir à prouver, mais l’appétence pour le défi et la nouveauté est pour tout instrumentiste impossible à calmer. Le nec plus ultra est de croiser sur sa route des compagnons en proie aux mêmes questionnements. De plus, aussi surprenant que cela puisse paraître, ceux-là ne s’étaient jamais croisés officiellement sur un enregistrement. Il a fallu l’entremise d’un cupidon musical, en l’occurrence François Lacharme, pour que le ralliement ait lieu, dans des conditions d’échange inédites. C’est là l’intérêt et le postulat du disque : l’acoustique.

Il y a 20 ans, Ponty et Clarke s’étaient trouvés sur un album au nom tout aussi parlant, Rites Of Strings, célébrant une sorte d’apogée du jazz fusion aux côtés du guitariste Al Di Meola. Ce D-Stringz, paraît donc en 2015 avec l’éclairage bienveillant du label Impulse !, pour attaquer un virage franc, puisqu’il les unit à autre guitariste emblématique, figure d’un autre jazz, gypsy et manouche, Biréli Lagrène. Plus près des sons originels, des sens, du toucher, de la sensibilité propre de chacun, ces trois amoureux des cordes signent un album alliant subtilement hommages colorisés à leurs aînés Django Reinhardt (le titre « Nuages »), Joe Zawinul (« Mercy Mercy Mercy ») et John Coltrane (« Blue Train ») et leur propres compositions. On les suit sans peine dans cette embardée sonore délicieuse, faite pour les envies de douceur. Elle aurait pu sentir la nostalgie, elle est au contraire aussi fraîche qu’une brise printanière. Après tout, il est question de renouveau.

Certes, parfois le verbiage semble redondant - mais peut-on reprocher à ces virtuoses, alors qu’ils semblent trouver un nouveau mode de communication, d’être trop volubiles ? Certainement pas. Swing, modes latins et orientaux, teintes bossa nova, envolées soul, comment refuser le voyage quand il est si agréable à vivre ? Les compositions réservent aussi leur lot de saveurs. « Childhood memories », composition de Ponty, évoque cette tendre douleur connue de tous, la mélancolie. Quand l’archet de la contrebasse cherche l’enfance, les aigus, on en vient à regretter que les trois solistes ne s’aventurent pas plus loin dans l’exploration des souvenirs tant elle est riche de découvertes. C’est la contrebasse, encore, dans le titre « Paradigm Shift », une composition de Clarke plus habitué à la basse électrique, qui laisse deviner le potentiel d’évocation encore accessible par le trio lorsqu’il fera appel à des techniques de jeu plus étendues. La suite nous le dira, car ici n’est pas le propos, ce D-Stringz prônant L’Importance d’être constant. Dans une gaieté contagieuse, Lagrène, Ponty et Clarke font preuve à la fois de continuité et de réinvention, de contiguïté et de fusion. Jamais déroutants, toujours élégants. Cela se perd, profitons-en.