Scènes

Ovations et joutes dans la baie du jazz

Compte rendu du festival de la baie du Mont Saint-Michel, Jazz en baie 2016


Stanley Clarke par Gérard Boisnel

Dernière soirée à Carolles-Plage pour ce festival nomade. Il se transportera ensuite à Avranches. Nous le retrouverons à Granville, toujours avec une programmation qui mêle les musiciens actuels et des légendes vivantes.

Mercredi 10 août 2016
Stéphane Huchard, Groovy Colors : rythmes et couleurs d’ici et d’ailleurs
Groovy Colors est une création commandée par le festival. Elle est issue d’une conversation d’après-concert entre Stéphane Huchard (batterie, compositions) et Pierre Betton, directeur du festival Jazz en baie. Carte blanche fut donnée à Stéphane Huchard pour choisir ses thèmes et ses compagnons de scène, à charge pour lui d’écrire une œuvre colorée et qui groove. Le résultat est là.

Stéphane Huchard dans Groovy Colors

Stéphane Huchard ne manque pas d’humour comme le montrent ses titres. « Partido ou tard » est inspiré d’une rythmique brésilienne. « Huggy les bons tuyaux » renvoie aux bandes originales de séries comme Starky et Hutch et à un de leurs auteurs, Lalo Schifrin, avec une pensée pour Herbie Hancock. « John Wayne Shorter » mêle l’admiration de l’auteur pour l’acteur de western et celle qu’il voue à une légende du saxophone. Etc. On voit l’éclectisme de l’inspiration.
Ecrit par un batteur, Groovy Colors, qui devrait bientôt être gravé sur disque, fait évidemment la part belle aux rythmes. Stéphane Huchard tient fermement les rênes de la rythmique mais il laisse beaucoup d’espace à ses musiciens. J’ai beaucoup aimé sa prestation dans « John Wayne Shorter ». Après un long roulement sur le tom grave, un travail très subtil sur les rythmes et les sonorités se développe et gagne peu à peu tous les autres instruments. La fin du morceau nous offre un trio enfiévré, plein de rythmes et de couleurs, qui réunit le batteur et les deux percussionnistes, Antonio « D-D » Tenorio et Stéphane Edouard. Tenorio fait vraiment percussion de tout : collection de clefs métalliques et de bouchons en plastique, bouteille à vin, thermos, etc. Les trois maîtres du rythme nous offrent aussi un vrai festival dans « Bosco Mood », une samba dédiée à João Bosco (de Freitas Mucci), le chanteur, auteur-compositeur brésilien.
Il ne faudrait pas oublier pour autant les cuivres et les deux co-solistes que sont Irving Acao (saxophone) et Nicolas Folmer (trompette). En duo, dans les dialogues, dans de vraies joutes parfois, les deux instrumentistes donnent la couleur de ce concert qui, par instants, n’est pas sans rappeler le Horny Tonky de Folmer. Le solo d’Acao dans « John Wayne Shorter » est du grand art tandis que Nicolas Folmer nous régale de la douceur d’une trompette bouchée. Dans « Big Crunch », le trompettiste nous fait un grand numéro : aigus splendides, puissance, rythme, vélocité et il récidive dans « Le Temple de Baal » du fils Huchard.
Le succès de cette création est total, si on en croit l’enthousiasme du public.

Stanley Clarke Band, ou comment enflammer une salle
On sent une certaine nervosité dans la salle qui attend le second concert de la soirée avec Stanley Clarke, le géant (dans tous les sens du terme !) de la basse et de la contrebasse. Les festivités commencent par trois titres interprétés à la basse, alternance de rythmes rapides associés à la mélodie et de quelques passages du domaine de la ballade pure. Le charme de Stanley Clarke opère déjà mais les cœurs vont être définitivement conquis par la suite, à la contrebasse.

Stanley Clarke à Jazz en baie

Tout commence par un dialogue délié avec le jeune batteur, Michael Mitchell qui se poursuit par l’entrée du jeune prodige géorgien Beka Gochiashvili (piano) dans un passage d’une exquise délicatesse. Et brusquement Stanley Clarke nous offre un extraordinaire numéro de contrebasse percussive. Les mains frappent les cordes à plat et virevoltent du chevalet à la tête dans un ballet rythmique étourdissant. Il faut redescendre de ces hauteurs et cela se fait par un prélude à la contrebasse acoustique seule qui s’ouvre sur des percussions cristallines de la batterie suivies d’un passage élégiaque au piano tandis que sur ses claviers le jeune Cameron Graves imite le saxophone.
Le concert se poursuit ainsi : Stanley Clarke, époustouflant à la contrebasse et à la basse, pousse ses compagnons de scène dans leurs derniers retranchements et le public en redemande.
Il va être servi en rappel. Stanley Clarke revient plus en forme que jamais. Il fait chanter et danser le public. Comme survolté par l’ambiance, il donne tout. Lance un défi à Cameron Graves qui joue le jeu et c’est le délire. On dirait la gestuelle d’une rock star ! A plusieurs reprises, il met un genou en terre et les notes volent, volent… Une formidable ovation clôt la performance.
Après une journée de halte à Avranches, le festival se déplace pour trois jours à Granville, dans le jardin Dior.

Vendredi 12 août 2016
Érik Truffaz, Doni Doni : un beau voyage
Pour le premier concert de cette saison au Jardin Dior, on retrouve le quartette d’Érik Truffaz (trompette), avec Marcello Giuliani (basse), Benoît Corboz (claviers) et Arthur Hnatek (batterie).
Voilà un concert qui nous emporte sur les ailes du rêve entre la trompette souvent très délicate et onirique d’Érik Truffaz, sa boîte à sons et la rythmique plus présente, pressante avec des connotations soul, pop, rock, etc. Le concert de ce soir est en partie basé sur le répertoire de Doni Doni, « pas à pas » en bambara du Mali, son dernier album chez Parlophone (janvier 2016).

Érik Truffaz à Jazz en baie 2016

« Pacheco » par exemple développe un rythme chaloupé : « Imaginez un retour de concert ou de plage bien arrosé », dit Érik Truffaz. La trompette y prend ses aises avant de s’envoler littéralement tandis qu’au Fender Benoît Corboz nous ferait danser.
D’autres titres sont empruntés à El Tiempo de la Revolución (Parlophone France, 2012), dont le titre éponyme que Truffaz qualifie de l’un « de nos meilleurs thèmes ». La batterie, jouée comme un tambour, y exprime une forme d’urgence tandis que la trompette et le Fender développent un ample chant d’une suavité exquise. Puis, le Fender reprend seul le même chant de façon plus rythmée. On retrouve cette douceur susurrée par une trompette comme voilée de brume dans « Un souffle qui passe ». En conclusion, on entend « Istanbul Tango » tout un programme pour une promenade langoureuse sur le Bosphore.
Auparavant, fidèle à une de ses habitudes, Érik Truffaz avait invité le rappeur Sly Johnson à le rejoindre pour quelques titres. Ce n’est pas la partie du concert que j’ai préférée sauf les passages en beatbox et un duo bouche fermée avec la trompette de Truffaz.

Électro Deluxe : survitaminé
Le groupe d’électro jazz français fait son entrée sous un déluge de fumée et de lumières clignotantes. Il est emmené par son chanteur, James Copley, qui dans la première partie du concert semble concevoir le chant comme un match de boxe. Il est soutenu par un orchestre survitaminé qui sonne surtout soul et funk. Les cuivres, Thomas Faure (saxophone) en tête, Vincent Payen (trompette) et Bertrand Luzignant (trombone), sont les rois de la fête et signent des solos colorés. Le jeune public, enthousiaste, chante et bat des mains.

James Copley à Jazz en baie

Le groupe présente une autre facette dans les ballades. Sur l’une d’elles, très belle, la voix de Copley est traitée de telle façon qu’elle évoque Gregory Porter.
Dans la dernière partie du concert, tout le public, même celui des gradins, est debout, chante et danse, ravi.